AUTEUR DE TUBES SYNTHPOP EIGHTIES, PÊCHEUR DE SONS POUR BASHUNG, IL A VU LE NET TOUT BOUSCULER. « LA MUSIQUE NE FAIT PLUS RÊVER« , AVANCE JEAN-MARC LEDERMAN. QUI MONTRE AVEC SON NOUVEL ALBUM QUE LE PROBLÈME EST PEUT-ÊTRE AUSSI LA SOLUTION

Quand on arrive, Jean-Marc Lederman est déjà là. « Je ne suis jamais en retard. Dans mon boulot, c’est pareil. Je remets toujours mes travaux à temps, voire bien avant la deadline. » Un modèle de normalité. Vu de l’extérieur du moins. A l’intérieur, cela bouillonne autrement. « Disons qu’il y a plus de jeu… Il y a une dose de spécificité que je n’arrive pas à effacer. »

Trouve-t-on jamais la bonne manière de « fonctionner »? Chez Jean-Marc Lederman, en tout cas, elle passe par la musique. Dans les années 80, c’était comme ça, et ça l’est toujours aujourd’hui. Mais différemment. Question d’époque. « Aujourd’hui, la musique, c’est terminé. On n’en vend plus. » Cela n’a pas toujours été le cas. Les temps glorieux de l’industrie du disque, Jean-Marc Lederman les a bien connus…

En pleine bourre new wave-post-punk au début des eighties, le Bruxellois débarqua à Londres, et tourna avec des cadors comme Fad Gadget, The The… Pour revenir ensuite en Belgique où il montera le combo électropop Kid Montana, et cartonnera avec un autre, plus « burné », baptisé The Weathermen (le tube Poison en 87). Plus tard, Lederman « froechellera » encore avec Front 242, ou aidera Bashung à sortir de la panade Chatterton, avant de se retrouver au générique de l’immense Fantaisie Militaire

Dans les années 90, il se plonge dans l’informatique. « Le choc que j’avais pu avoir en découvrant les premiers synthés, je le retrouvais avec les ordis. » Il voit arriver la révolution Internet, se met à composer des musiques pour jeux vidéo -pour des boîtes à New York, mais aussi en Inde, en Tchéquie, en Iran… Le futur, c’est déjà aujourd’hui. Sauf que -petit souci- ce qui est arrivé au final « ne ressemble pas du tout à ce qui était prévu…  »

L’écume des nuits

Vingt ans de téléchargement illégal sont en effet passés par là. L’industrie musicale a été laminée, « siderurgisée« . « Je ne peux même pas en vouloir aux gamins. Je peux comprendre que ce soit plus chouette de mettre 40 euros dans un jeu vidéo, qui offre toute une expérience excitante, plutôt que d’en sortir dix pour un CD proposant deux bons morceaux à tout casser. » Nostalgique, Jean-Marc Lederman? « L’époque actuelle est aussi très excitante. Mais à un autre niveau. Je n’ai jamais été aussi libre dans mon travail par exemple! » Lederman multiplie en effet les projets. Le dernier en date est peut-être le plus ambitieux…

The Last Broadcast On Earth (lire la critique page 24) est aussi original sur le fond que sur la forme. Le fond d’abord: une sorte de rêverie électro-pop, « scénarisée » comme si l’auditeur roulait sur une route déserte, la nuit, à l’écoute de ce qui ressemble à l’ultime programme radio. Un véritable récit choral où les voix et les langues se succèdent… « Rassembler autant d’invités aurait été impossible dans les années 80. » Aujourd’hui, chacun peut envoyer par mail un fichier avec sa piste vocale… « Pour un caractère introverti comme le mien, ce n’est pas négligeable. Ce n’est pas la même chose de se retrouver « coincé » douze heures en studio en tête-à-tête avec quelqu’un, que de passer trois jours avec sa seule voix. » (sourire)

La forme, ensuite. La musique de The Last Broadcast On Earth se décline sur plusieurs médias: le CD, un site Internet, et un jeu créé pour l’occasion, téléchargeable sur n’importe quel support mobile (tablette, smartphone)… « A l’origine, le label Off voulait sortir une compilation de mes musiques pour jeux vidéo. L’idée me plaisait, mais j’avais envie de quelque chose de différent. » Le déclic arrive rapidement. « Je venais justement de composer un thème pour un jeu gratuit, qui s’est téléchargé plus de 500 000 fois! J’ai trouvé ça fou. Je me casse la tête à essayer de sortir des trucs bien, et là, grâce à une appli, je réussis à atteindre un demi-million de personnes. J’ai commencé alors à réfléchir à un album qui puisse s’apprécier sur plusieurs plateformes. »

La « porte » gaming, par exemple, est toute simple: un bonhomme doit gravir une tour de télécommunication, en essayant au passage de capter des ventes d’albums (les boules grises), tout en évitant absolument les boules vertes, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau au logo de… Spotify. « C’est une petite touche d’humour, ma petite pique personnelle. Le streaming, comme pratiqué par Spotify, est merveilleux… pour l’amateur de musique. Par contre, je ne comprends pas que l’on ait oublié à ce point les créateurs de contenu dans le modèle. C’est une véritable escroquerie. » Tiens, au fond, que pense-t-il de la montée en puissance du concurrent Tidal, boosté par Jay-Z et ses amis les stars (Madonna, Daft Punk, Rihanna…)? « L’enjeu de toute cette affaire ne se situe pas au niveau du consommateur. Tidal, c’est d’abord et avant tout un levier de négociation pour les artistes, afin de renégocier leurs droits. C’est simple: si Spotify refuse, les artistes se réfugieront chez Tidal. A mon avis, on doit passer des mauvaises nuits pour l’instant en Suède… »

Ce qui n’empêche pas The Last Broadcast… d’être écoutable sur Spotify -« Oui, parce je ne suis pas Jay-Z. » La méprise est en effet difficile…

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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