NOUVEAU PETIT MAÎTRE DU CINÉMA D’ÉPOUVANTE BANKABLE, SCOTT DERRICKSON PARLE SANS DOUTE MIEUX DE L’HORREUR QU’IL NE LA FILME. À L’HEURE OÙ SORT SON TRÈS MOYEN DELIVER US FROM EVIL, DISCUSSION PASSIONNÉE AUTOUR D’UN GENRE QUI, À DÉFAUT DE SE RENOUVELER, N’A PEUT-ÊTRE JAMAIS EU AUTANT LA COTE.

Avec James Wan, Eli Roth et quelques autres (lire notre galerie par ailleurs), il fait partie de cette nouvelle génération de « masters of horror » qui, à défaut de régénérer le genre en profondeur, n’a pas manqué d’exploser les scores depuis le début des années 2000. Genre de niche qui a notamment fait les belles heures des nerds à cheveux gras à la charnière des années 70 et 80, l’horreur a en effet désormais largement débordé des marges séditieuses de l’industrie culturelle pour en intégrer de plus en plus franchement le giron main-stream, mutant par la même occasion en divertissement quasiment familial. C’est vrai pour la bande dessinée –TheWalking Dead, Priest, 30 Days of Night…- et la littérature –World War Z, Pride and Prejudice and Zombies…- comme pour la télévision –American Horror Story, Penny Dreadful, The Strain

C’est d’autant plus vrai s’agissant du cinéma où, ces deux dernières décennies, une multitude de projets plus ou moins flippants se sont engouffrés dans la brèche ouverte entre autres par The Blair Witch Project, engrangeant les recettes maousses avec des budgets parfois dérisoires. Et un floutage souvent délibéré des frontières qui séparent la réalité de la fiction. Un gimmick très dans l’air du temps qui traverse fort logiquement la filmographie de Scott Derrickson, de The Exorcism of Emily Rose, troublant drame procédural réalisé en 2005, au plutôt décevant Deliver Us from Evil,nouveau film d’exorcisme brandissant fièrement le label « inspiré par des faits réels« , en passant par Sinister (2012), dont le carton au box-office nous vaudra prochainement une sequel, autre marotte du genre horrifique. A 37 ans à peine, ce scénariste-réalisateur-producteur californien a ainsi toutes les cartes en mains pour devenir l’un des plus gros poissons de Hollywood. Pour preuve, c’est lui qui a tout récemment été désigné pour réaliser l’hyper attendu Doctor Strange des studios Marvel -lequel, si l’on en croit les rumeurs, pourrait être interprété par Joaquin Phoenix…

Neuf ans après The Exorcism of Emily Rose, Deliver Us from Evil est à nouveau vendu comme un film « basé sur des faits réels« . A quel point est-il fidèle à la réalité?

Il s’agit de l’adaptation des mémoires d’un flic du Bronx, Ralph Sarchie, qui raconte avoir été plusieurs fois confronté à des affaires relevant du paranormal durant sa carrière. Le bouquin couvrait une dizaine d’enquêtes séparées. Aucune ne justifiait à elle seule un film en soi, donc j’ai choisi l’histoire que je trouvais la meilleure, la plus cinématographique, et nous l’avons enrobée de fiction. J’ai rencontré Ralph il y a plus de dix ans. C’est d’ailleurs lui qui m’a donné à l’époque un exemplaire du livre The Exorcism of Anneliese Michel, écrit par un anthropologue, sur lequel j’ai mis une option d’adaptation pour 100 dollars (sourire) avant d’en tirer The Exorcism of Emily Rose en 2005.

Il y a beaucoup de points communs entre vos deux films d’exorcisme. D’ailleurs, « Deliver Us from Evil » est une phrase qui était déjà prononcée par Emily dans The Exorcism of Emily Rose

Ce n’est pas conscient, et à la limite ça aurait plutôt été une bonne raison pour ne pas faire Deliver Us from Evil, par crainte que les gens ne disent: « Bah, il a déjà fait ça. » Vous savez, quand j’ai fait Emily Rose, personne n’avait plus cartonné avec un film d’exorcisme depuis The Exorcist de William Friedkin en 1973. Et pourtant, des tas de films du genre se sont faits entretemps.

Quel impact le film de Friedkin a-t-il eu sur vous la première fois que vous l’avez vu?

C’est mon film d’horreur préféré de tous les temps. La première fois que je l’ai vu, comme tout le monde, ça m’a terrifié. Mais si vous chronométrez les scènes de possession dans le film, ce que j’ai fait un jour, vous réalisez qu’elles n’en occupent en fait qu’un très faible pourcentage. Pour moi, The Exorcist est bien plus qu’un film d’horreur, il s’agit d’une méditation patiente sur le mystère de la foi, qui questionne les limites de la science et de la médecine.

Justement, vous croyez à ces histoires de possession?

Ça dépend. Beaucoup d’affaires relayées par l’Eglise ou les médias relèvent du pur non-sens. Mais cette dynamique d’être possédé, d’être sous l’emprise de quelque chose, et cet état de transe qui en résulte, sont des faits bien réels. Pour lesquels le seul soulagement possible est le choc provoqué par le rituel de l’exorcisme. C’est un phénomène humain qui traverse les âges et les cultures, et pour lequel j’éprouve une sorte de fascination anthropologique. Il m’est tout à fait impossible de réduire les affaires très documentées auxquelles j’ai eu accès, notamment à travers des vidéos que Ralph m’a données, à de la simple hystérie ou à des problèmes mentaux. Je crois vraiment qu’il existe des phénomènes mystérieux qui nous dépassent, et qui sont à prendre très au sérieux, ils sont partie intégrante de notre être-au-monde.

Avez-vous déjà assisté à un exorcisme?

Non. Pour être clair, je n’ai jamais été tellement intéressé par la question de l’existence ou non de forces démoniaques. Ce qui me passionne, par contre, ce sont les états de transe, et la souffrance vraiment profonde, qui gagnent des personnes parfois très ordinaires. Ça touche à des recoins mystérieux de la nature humaine qui peuvent être réellement effrayants. Il est impossible de rester indifférent à ce genre de phénomènes, et de ne pas croire en des forces spirituelles, quelles qu’elles soient, qui agissent au-delà des apparences. Personnellement, je ne crois en rien si ce n’est aux mystères du monde qui nous entoure, je pense tout simplement que le monde ne se réduit pas à ce que nous en voyons. Et si mes films peuvent vous faire ressentir ça, ne fût-ce que deux petites heures durant, alors je suis ravi.

A Hollywood, vous êtes désormais considéré comme un véritable maître de la peur. Pourquoi êtes-vous à ce point fasciné par l’horreur?

Essentiellement, pour trois raisons. La première tient au fait que la peur est l’émotion primaire qui me revient instantanément lorsque je pense à mon enfance. Beaucoup de choses m’effrayaient quand j’étais gamin, liées à des traumas personnels sur lesquels je préfère ne pas m’étendre. Et j’ai passé la majeure partie de ma vie d’adulte à tenter de dépasser ça. Donc la peur est un sentiment que je connais bien. Ce qui me conduit à la deuxième raison: l’horreur est le genre cinématographique qui vous confronte aux choses que vous craignez, qui va au-delà du déni. C’est ce que j’aime dans l’horreur, au cinéma mais aussi en littérature ou en peinture: c’est qu’elle révèle vos peurs les plus inavouables. C’est très important, parce que s’y confronter est la seule façon de les exorciser. La troisième raison relève de la croyance. La science et la religion ne cessent de poser les limites du monde qui nous entoure, et me donnent personnellement l’impression que notre monde est en définitive très petit, étriqué. L’horreur me donne le sentiment inverse, le goût du mystère. Et d’un coup, le monde me semble tellement plus grand que moi qu’il m’apparaît comme un endroit magique. C’est ce que je crois: le monde est un endroit magique. Et c’est peut-être le rôle du cinéma de nous le rappeler.

Comme dans la scène d’exorcisme de Deliver Us from Evil, dont elle constitue le climax peut-être un chouïa « over the top »…

Laissez-moi vous dire une chose à ce propos. J’ai casté Sean Harris pour le rôle du possédé sur la simple foi d’une scène qu’il avait avec Michael Caine dans Harry Brown. Je me suis dit: « Sean peut le faire. » Toujours est-il que le soir où on a tourné cette séquence, il est rentré dans une espèce de transe. Sa voix et son regard sont devenus étranges et il a commencé à parler en langues étrangères. Tout le monde sur le plateau était un peu mal à l’aise. Je me suis dit: « Quel acteur! » Et puis les types du maquillage l’ont raccompagné à sa piaule. Le jour suivant, je vous jure que c’est vrai, il avait tout oublié. Je pense simplement qu’il n’a pas calculé: il a plongé dans le terrier du lapin blanc pour cette scène.

Vous arrive-t-il d’observer certains rituels sur le tournage de vos films?

Non, aussi étonnant que cela puisse paraître, après tout ça, je ne suis toujours pas superstitieux (rire).

RENCONTRE Nicolas Clément, À Paris

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