Dans L’armée du crime, Robert Guédiguian évoque sous un angle historique et romanesque le destin tragique du réseau Manouchian, groupe de partisans juifs communistes engagés dans la Résistance. Et y trouve la matière à un film classique et vibrant…

Robert Guédiguian se penchant sur l’histoire du réseau Manouchian, et voilà que le réalisateur de Marius et Jeannette, La ville est tranquille et autre Lady Jane, livre sans doute son film le plus classique à ce jour. Loin de l’Estaque, théâtre d’une bonne partie de son £uvre, le cinéaste trouve dans le combat de ces hommes, un groupe de partisans juifs communistes de diverses nationalités engagés dans la Résistance en France occupée, matière à une épopée au lyrisme tragique. Et signe un film porté par un élan généreux, à l’instar de celui qui animait Missak Manouchian, poète ouvrier arménien entré dans la clandestinité par idéal. De quoi titiller l’intérêt d’un cinéaste ayant l’engagement chevillé à la caméra, comme il nous le rapportait avec flamme lors d’un récent passage à Bruxelles.

Comment est né ce projet?

La dernière lettre de Missak Manouchian, adressée à sa femme Mélinée, est pour moi une des plus belles lettres de l’histoire de l’humanité. Je l’ai lue il y a longtemps, et elle m’a aidé à vivre. Il y écrit: « A l’instant de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand. » C’est pas mal, déjà, comme phrase. (…) Je trouve cette lettre encourageante, elle nous réconforte sur ce qu’est l’humanité. Et moi, un petit peu plus que cela, parce que ma mère est Allemande et mon père Arménien. Qu’un Arménien écrive cela à une époque où, dans la cour de l’école, on continuait à me traiter de sale boche, cela a réconforté mes deux origines. Ayant en outre été militant communiste, comme tout ce groupe, cela faisait beaucoup de raisons de se préoccuper de cette affaire.

Comment avez-vous déterminé par quel biais l’aborder?

J’ai voulu faire un grand film populaire. A cet effet, il fallait que je raconte la vie de ces gens dans leur intimité, que je montre qu’il s’agissait de héros comme vous et moi. Ils sont devenus des héros parce qu’ils avaient une capacité d’indignation exacerbée: ils n’ont pas supporté ce qui se passait autour d’eux et se sont révoltés. Par rapport à un film remarquable comme L’armée des ombres, je voulais faire « L’armée de la lumière », montrer comment ces gens-là, dans une période aussi noire, ont vu la faible lueur qui subsistait, la petite lumière qui existait encore dans l’humanité. Ces personnages-là m’ont aidé à me construire, ce sont des exemples. Et j’avais envie d’offrir cet exemple aux jeunes gens d’aujourd’hui. Mon espoir, c’est que des jeunes voient ce film et se disent qu’il y a et qu’il y aura toujours à s’indigner et à se révolter, que résister et vivre, c’est la même chose.

Le parcours de Manouchian pose la question de l’obligation de la violence. Quel est votre sentiment à cet égard?

L’une des scènes que je préfère, c’est celle où on le voit pleurer lorsqu’il dit être devenu un vrai combattant. Je ne crois pas qu’il ait envisagé une seule seconde dans sa vie de tuer de jeunes Allemands. C’est la période qui génère cette violence, et leurs actes étaient extrêmement ciblés. Plusieurs fois, on les voit renoncer à des attentats parce qu’ils risquent de faire des victimes innocentes. Bien entendu que le terrorisme n’est pas acceptable s’il porte atteinte à des civils. Je suis résolument opposé au terrorisme non ciblé, et au terrorisme lorsqu’il y a d’autres possibilités d’expression. Cela dit, dans l’Histoire, il n’y a jamais eu de violence révolutionnaire qui soit première.

Peut-on parler d’une éthique de la représentation de la violence?

La représentation de la violence est une question forte qui se pose au cinéma contemporain, qui a tout transformé en spectacle. On regarde les choses, et on ne les voit pas, étrangement. On regarde un film qui est violent pendant 1 h 30, et on ne voit pas la violence – cela nous aveugle. Il faut donc revenir à montrer la violence comme elle doit l’être, c’est-à-dire insupportable. Pour moi, l’idéal d’une scène de violence, c’est que le spectateur se retourne, qu’il ne veuille pas regarder. Là, ça m’intéresse. Et bien sûr, c’est une affaire d’éthique, de cinéma, qui vaut d’ailleurs pour la mise en scène en général: elle doit nous faire poser des questions, nous rendre plus clairvoyants et non nous aveugler. Chaque fois que je tourne une scène de violence, je me pose la question de savoir jusqu’où aller. Je veux me situer à la limite où le spectateur n’a pas envie de regarder, pour revenir à une dénonciation de la violence.

Parlant de grands films populaires, aviez-vous des modèles à l’esprit?

Pour moi, les grands films populaires, ce sont ceux du cinéma français d’avant-guerre, Renoir, Duvivier, Becker. Ou alors, le cinéma américain de ces années-là: John Ford, Howard Hawks, avec des films où le récit est toujours devant. D’abord, il y a le récit, de belles histoires, des acteurs. Et après, il y a du rythme, le cadre, le cinéma…

Lire notre critique du film en page 30.

Rencontre Jean-François Pluijgers

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