COMME DES VIRGULES DANS LE FLOT DE MOTS, LES PHOTOS EN APESANTEUR DE GUILLAUME BINET AUSCULTENT LA MYTHOLOGIE AMÉRICAINE. ARRÊT SUR QUATRE IMAGES.

1 « C’est un autoportrait. C’est ma main. On a fait 40 000 kilomètres en un an. On a choisi cette photo pour la couverture du livre. Le road trip comme exercice de style est très codé. Montrer une image abstraite de notre périple aurait mis trop de distance avec les codes du genre. Alors que là, on donne un repère immédiatement identifiable. C’est la route. On embarque les gens dans le camping-car, on leur dit qu’on va faire un bout de chemin ensemble, en montrant une belle photo de ce symbole par excellence de l’errance, de l’inconnu. Et puis l’image suggère aussi l’ivresse de la route. Cette impression très américaine qu’on peut toujours aller plus loin. Qu’on n’est jamais obligés de rester à un endroit si le point suivant sur la carte semble plus prometteur. »

2 « C’est l’hiver, on vient d’arriver en Floride. On a quitté le froid glacial du nord. La nuit est déjà tombée. On a galéré pour trouver un logement avant de tomber sur ce motel avec piscine chauffée. On peut observer le contraste entre la saison touristique et la brume d’hiver qui traîne. C’est aussi la représentation typique du motel. Le genre d’ambiance que l’on retrouve dans les livres ou les films: la nuit, les spots, les jolies filles autour de la piscine qui boivent des daïquiris.. . C’est une image très cinématographique qui correspond à un certain archétype moderne de la mythologie américaine. »

3 « La scène se passe à Sarasota en Floride. Sur une plage enveloppée de brume, lieu de fête des fameux Spring Break. Une image qui montre le communautarisme, deux jeunes familles se croisent. L’une, intriguée et envieuse, observe la seconde, qui mange un McDo affublée deT-shirts Batman, qu’on n’identifie certes pas plus qu’on n’entend la musique de la fête. La petite fille regarde hors champ la nôtre. Le brouillard efface la ligne d’horizon et referme la scène sur les regards entre curiosité et envie des Amish et l’absence d’intérêt de la famille « Batman » pour leur environnement. Ce sont des étrangers les uns pour les autres, sur fond blanc et sans aucun lien entre eux. Aucun horizon social ne se dégage de cette rencontre. Une plage comme les planches d’un théâtre, une saynète avec pour thème l’individualisme. »

4 « On se trouve au bord du Lake Powell, le plus grand réservoir artificiel du pays, entre L’Arizona et l’Utah. Le lac est un haut lieu de vacances dans le coin, mais il souffre de la grande sécheresse qui frappe la région. Le paysage porte d’ailleurs les traces de ce dérèglement climatique. On voit très bien les anciens niveaux de l’eau sur le pourtour du lac. Dans ce décor étrange, un homme au chapeau de cowboy se prélasse dans une piscine, loin des problèmes écologiques. Le genre de contraste typiquement américain. »

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