Trois ans après un deuxième album miraculeux, Camille sort Music Hole. Jeux de mots et jeux de voix pour un disque plus ludique et éclaté.

Ce n’était pas gagné d’avance. Avec Le Fil, son deuxième album, Camille Dalmais (1978) se jetait à l’eau, larguant les amarres de la chanson française trop cadrée, prenant tout le monde par surprise. Et ça a marché. La critique s’est emballée (Prix Constantin 2005), le public a suivi (plus de 500 000 exemplaires vendus). Le triomphe de l’audace, de l’opiniâtreté. D’un vrai caractère aussi. Volontiers farouche? Avec le sourire alors, la demoiselle aujourd’hui rassurée par le pouvoir rassembleur de ses expérimentations. Bilan trois ans plus tard : « Grâce au succès du Fil, Le sac des filles, l’album précédent, est également devenu disque d’or. Surtout, suite à la tournée, riche de tout ce que j’ai pu y engranger et recevoir du public, j’ai pu commencer ce nouveau disque. » En l’occurrence, il s’appelle Music Hole, toujours réalisé avec l’aide de MaJiKer. Première impression: il joue l’éclatement là où le Fil tenait sur une note. « Il y avait plus d’éléments dans ma tête. Je voulais croiser et fusionner pas mal de choses: la chanson et le minimalisme, le français et l’anglais, la rythmique et les mots, développer les infrabasses et des voix ultra-aiguës, les arrangements vocaux et en même temps les percussions corporelles (Ndlr, elle a invité les Barbatuques, formation brésilienne spécialiste de la matière) … Au bout du compte, cela a donné un disque plus « plein ». » Plus réfléchi aussi, moins spontané, là où le Fil était d’une fluidité inouïe. « Oui? Ah bon. On me dit le contraire aussi. »

Lovée dans son divan, Camille est aimable, affable même, mais pas prête à tout livrer, terminant certaines de ses phrases par des sourires qui sont autant de point de suspension. « Music Hole s’est fait davantage à l’énergie, de manière plus resserrée, contrairement au Fil que j’ai eu plus le temps de laisser macérer. »

Ludique, à l’image de son titre, ce troisième disque voit ainsi Camille taper des mains dans l’eau et cancaner ( Canard Sauvage), miauler et aboyer sur un piano cabaret ( Cats & Dogs), quand elle ne se lance pas carrément dans une blague avec Money Note. Soit la note aiguë atteinte par les divas américaines, telle Mariah Carey, synonyme de jackpot au hit-parade. Camille s’en moque ici gentiment. « Je prends distance mais en même temps, c’est vrai qu’il y a une admiration. Je suis fascinée par le show à l’américaine, qui fusionne l’hypercommercial et une énergie complètement débordante et, je pense, sincère. » Elle y a mis un pied récemment avec Ratatouille, le dernier film d’animation Pixar. Camille prêtait non seulement sa voix au personnage féminin de Colette, mais chantait également sur la bande originale le titre en français repris dans toutes les versions du film.

D’ailleurs, jusqu’à un certain point, Music Hole, chanté principalement en anglais, est également censé être l’album « international » de Camille. Le Fil avait en effet réussi à se faire remarquer jusqu’en Angleterre, et a bénéficié d’une sortie aux Etats-Unis. Pourquoi ne pas essayer de pousser le bouchon encore un peu plus loin ? « Ce n’est pas la première fois que je chante en anglais. Ne serait-ce que par ma participation au projet Nouvelle Vague, dans lequel j’étais tout à fait dans mon élément (Ndlr, disque de reprises de titres phares de la new wave, façon bossa nova) . Ce qui est vrai, c’est que pour Music Hole , cela s’est fait plus sur la longueur. Puis l’univers anglo-saxon est davantage présent aussi, ne serait-ce que par des clins d’£il comme Money Note . »

GOD IS SOUND

Une autre expérience a laissé des traces. Entre les deux disques, on a ainsi vu Camille se lancer dans la reprise d’une £uvre de Benjamin Britten, A Ceremony Of Carols, et créer dans la foulée God Is Sound, pièce basée sur « douze prières du monde ». « Au départ, il y avait une envie commune entre moi et une productrice, Madame Lune, qui aime travailler sur les croisements entre le classique et les autres musiques. Comme j’avais un peu de temps, j’ai sauté sur l’occasion de reprendre Britten. Les chants spirituels, c’est autre chose: cela vient d’une collaboration avec un artiste contemporain d’origine libano-sénégalaise, Hady Sy. C’est un photographe, plasticien, qui a fait tout un travail sur les conflits religieux. Il m’avait demandé de faire une musique de paix pour son expo qui parlait beaucoup de guerre. J’avais commencé à mettre l’un à la suite de l’autre, un chant chrétien, musulman, juif.. . Après, j’ai eu envie de l’étendre, et cela a donné ces douze chants. »

Parallèlement, lors de sa tournée, Camille a aussi pu se rendre en Israël et au Liban, lieux cruciaux, chargés de toutes les tensions religieuses. « De tristes étapes. A chaque fois, quelques jours après que l’on est parti, cela a pété. » Sur Music Hole, le morceau Winter’s Child évoque ainsi la république du cèdre – « juste une pensée pour ce pays qui est comme un enfant qui a du mal à naître » -, tandis que Kfir insiste: « le soleil de ton pays/est le même que celui de ton ennemi ». A en croire Wikipédia, Kafir veut dire incroyant pour le musulman. Camille s’étonne: « Au départ, c’est un prénom israélien. Mais ce qui m’a fasciné avant tout, c’est la sonorité de ce mot incroyable, accidenté et lumineux à la fois. »

Petit à petit, en pointillé, un thème apparaît. La religion ou la spiritualité comme questionnements qui ont pu irriguer Music Hole. Camille pousse une moue dubitative, puis finit par ajouter: « Je ne sais pas. Ce n’est pas forcément quelque chose de conscient. Je pense qu’il y a une crise spirituelle en Occident.. . Je me pose des questions. La religion m’est complètement étrangère, et cet engouement pour les spiritualités et les méditations extra-occidentales m’intrigue. Cela montre qu’il y a un manque de confiance dans nos ressources culturelles. Même si je suis la première à être curieuse des autres, il y a quelque chose qui m’échappe. Ma réponse en tout cas est dans ma musique, qui n’est pas religieuse. » Le disque s’ouvre ainsi avec le single Gospel with no Lord, un gospel sans Dieu. « Oui, même si ce n’est pas moi qui l’ai inventé, mais la soul music qui s’est émancipée de la religion, tout en lui empruntant son parfum. Gospel with no Lord est une chanson qui parle de l’héritage, de la force qu’on peut recevoir et avoir en soi. Quelque chose qui nous porte, sans que cela soit Dieu, et qui vient des autres, de la famille… » Camille, chanteuse sans foi, pas sans voix.

Music Hole, chez EMI. En concert le 16/05, au Cirque Royal, Bruxelles, dans le cadre des Nuits Botanique. http://www.camille-music.com

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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