La science des rêves

Doctor Sleep semble vouloir tourner le dos aux codes emphatiques de l'horreur contemporaine afin de privilégier une certaine profondeur dramatique, l'ambiance et la tension.

À la barre de Doctor Sleep, l’adaptation de la suite de The Shining, Mike Flanagan tente l’impossible équilibre entre l’héritage de Stanley Kubrick et la fidélité à Stephen King. Il n’est pas loin de le trouver.

L’histoire est connue. En 1980, l’immense Stanley Kubrick investit pour la première (et dernière) fois le terrain miné du cinéma d’horreur en adaptant The Shining, le roman de Stephen King. Définitif à plus d’un titre, le résultat devient un classique quasi instantané mais ne plaît pas au célèbre écrivain, estimant qu’il trahit l’esprit du bouquin et dévoie ses thématiques phares. Frustré, King ira même jusqu’à créer sa propre mini-série The Shining en 1997 pour imposer sa vision personnelle de l’histoire à l’écran, avant d’écrire en 2013 une suite à son livre culte, baptisée Doctor Sleep, dans laquelle il se plaît à imaginer ce qu’a bien pu devenir le jeune personnage de Danny Torrance une fois arrivé à l’âge adulte, le confrontant notamment à une étrange tribu de vampires psychiques en quête d’immortalité.

On comprend dès lors aisément à quelle espèce d’inextricable casse-tête le réalisateur américain Mike Flanagan a dû faire face au moment de s’atteler à l’adaptation de ce Doctor Sleep ( lire la critique page 37): suivre l’empreinte indélébile laissée par Kubrick ou se montrer loyal à l’univers de King? Il explique:  » Disons que c’est une position assez peu confortable en soi, de se tenir dans l’ombre conjuguée de ces deux monstres sacrés (sourire) . Je n’ai jamais prétendu être Stanley Kubrick, personne ne sera jamais plus Stanley Kubrick. Et la première décision que j’ai prise était de ne pas même essayer de me mesurer à son génie. Ça aurait été une erreur monumentale. Ce film a davantage été conçu dans un esprit de célébration de son travail et de celui de Stephen King. À l’arrivée, je pense que mon Doctor Sleep est moins une suite qu’un descendant de The Shining . C’est une façon d’envisager les choses particulièrement séduisante parce que ça signifie que, comme chaque enfant, il résulte de la rencontre entre deux parents. J’aime ainsi à penser que mon film a en lui à la fois de l’ADN de Kubrick et de l’ADN de King, et qu’en même temps il possède sa personnalité propre, qu’il est capable de s’assumer et de tracer sa voie. »

Le grand sommeil

Réalisé avec la bénédiction des héritiers de Stanley Kubrick, mais aussi celle de Stephen King lui-même, le film renoue donc avec le personnage de Danny devenu grand (Ewan McGregor) et tentant tant bien que mal de noyer ses souvenirs dans l’alcool. Bientôt engagé sur le chemin difficile de la rédemption, il accompagne les personnes âgées d’un hospice au moment de passer l’arme à gauche, utilisant un soupçon de ses capacités extrasensorielles pour apaiser les mourants et les aider à trouver le sommeil éternel en toute sérénité. Ce qui lui vaut d’être appelé Doctor Sleep, surnom qui fait écho à son obsession d’enfant dans The Shining: regarder les dessins animés de Bugs Bunny, lapin malin adepte de la fameuse réplique  » What’s up Doc?« .

Ce rapport constant à Morphée, Flanagan l’infuse jusque dans sa mise en scène: modeste, mais trouvant son identité dans une dimension volontiers onirique, quasiment éthérée, qui chamboule la perception des espaces en jeux enfumés de l’esprit. Sobre, élégant, très atmosphérique, dénué de tous ces effets de surprises faciles, le film semble vouloir tourner le dos aux codes emphatiques de l’horreur contemporaine afin de privilégier une certaine profondeur dramatique, l’ambiance et la tension.  » C’est aussi une leçon enseignée par le Shining de Kubrick, reprend le cinéaste. C’est-à-dire que le film est choquant mais jamais via une surenchère d’effets gores ou le recours au « jump scare » (procédé destiné à faire sursauter le spectateur de manière abrupte, NDLR). Stanley Kubrick préférait mettre les nerfs à vif en étouffant petit à petit le spectateur dans une ambiance claustrophobique et traumatique. »

Contrairement au Doctor Sleep de Stephen King, l’adaptation de Mike Flanagan retourne ainsi jusqu’aux origines du mal, celles qui marinent entre les murs du cultissime hôtel Overlook, recréé en studio pour l’occasion, où il s’amuse à reproduire, avec un soin maniaque, certains visuels et certains cadres propres au film de Kubrick. Mais Flanagan parvient aussi ponctuellement à apposer sa vision bien à lui en matière de cauchemar et d’effroi, celle que l’on avait par exemple déjà entrevue dans le virtuose sixième épisode de The Haunting of Hill House, la série Netflix qu’il a créée et dont il s’apprête à tourner la deuxième saison, cette fois adaptée du Tour d’écrou de Henry James.  » J’ai tendance à croire qu’il n’y a rien de plus effrayant que le silence, et qu’un design sonore intelligemment pensé peut vous emmener beaucoup plus loin qu’une musique tonitruante. Dans l’épisode 6 de The Haunting of Hill House , j’ai complètement évacué toute musique jusqu’à deux minutes de la fin. Il me semblait plus avisé d’utiliser le tempo de l’orage, des éclairs, pour rythmer les plans-séquences labyrinthiques qui le composent. Dans le même ordre d’idées, il me semble toujours plus intéressant de pousser le spectateur à imaginer des choses effrayantes que de les représenter explicitement. Rien de ce que je pourrai jamais vous montrer n’égalera ce que vous avez dans la tête. »

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