La revue Audimat : 10 ans d’oreille sensible
Depuis dix ans, la revue Audimat décrypte la pop culture sous toutes ses coutures, à travers des analyses aussi fouillées que jouissives. La preuve avec Maxi, best of compilant quelques-uns de ses textes les plus marquants.
Qui a inventé le reggaeton? Les charts sont-ils démocratiques? Qu’est-ce qu’une power ballad? Quels chants entonne-t-on dans les stades? À quoi ressemblait l’âge d’or de la techno-pop japonaise? Comment sont fabriqués les tubes de Rihanna?… Toutes ces questions -et bien d’autres encore-, la revue Audimat s’est chargée d’y répondre dans l’un de ses numéros.
Cela fait maintenant dix ans que ça dure. Dix ans que la revue française malaxe la pop culture, la questionnant sous toutes ses coutures, sans barrière de style ni de goût. Récemment, elle est même devenue une maison d’édition. Avec toujours cette même volonté de balayer large -de l’Histoire du glam (racontée par le fameux critique anglais Simon Reynolds) à celle du r’n’b francophone (tissée par Rhoda Tchokokam), en passant par un recueil de référence sur la musique trap.
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Pour fêter ces “dix ans d’écoutes sensibles et politiques”, Audimat sort aujourd’hui une première compile. Un recueil en forme de best of, intitulé Maxi. Il reprend une trentaine d’articles, piochés dans les quinze premiers numéros de la revue. Pas certain qu’en démarrant l’aventure, ses fondateurs pensaient arriver jusque-là… Dans une presse culturelle qui rame, Audimat n’est en effet pas seulement une exception, c’est une anomalie. “À vrai dire, on a réalisé un numéro après l’autre, en faisant d’autres choses à côté, explique l’auteur et éditeur Guillaume Heuguet. Et puis, à un moment, on s’est retournés, et on s’est rendu compte que ça commençait à représenter un vrai corpus.”
Terrain d’expérimentation
Pas besoin donc d’être musicologue pour retracer une Histoire de la caisse claire (comme le fait le journaliste de Libération Olivier Lamm), ni d’empiler les adjectifs impressionnistes pour se pencher sur la voix de sifflet dans la pop (Valentin Grimaud, auteur d’ouvrages sur Céline Dion et Mariah Carey). “Dans tous les cas, l’important est que l’expérience d’écoute soit présente.” Ce qui n’exclut pas d’y inclure une dimension plus politique.
Guillaume Heuguet est l’un des deux fondateurs de la revue, avec Étienne Menu. Encore étudiants, les deux se sont d’abord croisés dans des forums de musique, sur des blogs, ou encore via Myspace. “Et puis, un jour, il m’a invité à venir manger un gigot et on a parlé de musique pendant des heures.” Ils continueront de le faire ensuite à la radio, puis dans la presse (notamment dans feu le magazine Trax). “Mais on se sentait un peu à l’étroit dans un format qui était quand même fort guidé par les dernières sorties, etc.”, toujours un peu le nez dans le guidon. Arrive alors l’idée d’une revue. “Mais pas chiante!” En juin 2013 paraît le premier numéro d’Audimat. Avec des articles parlant aussi bien de punk que de world music, incluant même une nouvelle de Tristan Garcia.
Audimat n’est donc ni un magazine -“qui doit couvrir d’une manière ou d’une autre l’actualité”- ni une publication académique. Mais plutôt un espace d’expérimentation pour parler et écrire autrement sur la musique, de manière “moins coincée”. Une démarche que l’on retrouve couramment du côté anglo-saxon mais qui reste encore assez rare dans le monde francophone. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Audimat publie régulièrement des traductions. “C’est une manière de montrer qu’il peut y avoir un rapport un peu plus décomplexé entre les pratiques d’écoute et les pratiques d’analyse. Après tout, de la même manière que les musiques populaires elles-mêmes sont plus ou moins formalisées, pourquoi s’empêcher une approche théorique qui soit un peu plus sauvage et spontanée?”
Le centre de la marge
Par exemple en essayant d’expliquer le plaisir à écouter des musiques misogynes. Y compris quand on est une femme. “En cela, l’article d’Ellen Willis, par exemple, sur son rapport aux Sex Pistols (intitulé Aimer le punk en féministe, NDLR), n’a pas vieilli. Son questionnement est toujours d’actualité. Il peut même être transposé dans d’autres genres. Via la musique, on peut également parler des rapports de domination en général. J’ai écrit par exemple un article sur la musique de jeunes, en me demandant comment le débat sur le conflit entre les générations y a remplacé celui sur la lutte des classes.”
Par ailleurs, Audimat n’hésite jamais non plus à aborder des genres encore souvent balayés par la critique rock. “On est attentifs aux questions de légitimité. À la manière dont certaines musiques sont discréditées, sur des critères de race ou de classe. Tout une partie du livre consacré à l’Histoire du r’n’b francophone (Sensibles, de Rhoda Tchokokam, NDLR) tourne autour de ces questions. Pour pouvoir parler du plaisir que procure cette musique, mais aussi de sa force politique, il faut pouvoir discuter des normes.”
Questionner la norme et ce qui est considéré comme “grand public”? Cela ne manque évidemment pas de piquant quand on s’appelle… Audimat. Guillaume Heuguet rigole. “Au départ, ce titre est un peu une manière de combiner la notion de “mat” que développait Roland Barthes, comme ce qui résiste à l’interprétation; et le terme d’audio, pour la musique qu’on voulait justement essayer d’analyser. Mais en effet, c’est aussi une manière de se réapproprier le concept de l’audimat, en tant qu’outil de mesure d’audience.”
Un instrument qui pointe les tendances dominantes au moins autant qu’il les renforce. Quitte à écraser les petites niches, invisibilisées par le mainstream. “À cet égard, j’aime bien être un peu bourrin et occuper le terrain. Je refuse en tout cas de faire comme s’il fallait s’autominoriser. La marge peut être au centre. À l’époque où tout le monde allait au cinéma, il y avait un public cinéphile de masse. On allait voir une séance et on en discutait ensuite. C’est la même chose en musique. En tout cas, c’est ce qu’on essaie de montrer avec Audimat: qu’il est possible de remplacer les signes de masse en mettant en avant cette espèce d’érudition sensible qui est là un peu partout, si l’on se donne la peine de la regarder…”
Maxi, éditions Audimat, 736 pages.
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