Le R&B français, une affaire sensible

K-Reen, pionnière du R&B made in France © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Trente ans après ses débuts, le r’n’b français a enfin droit à un livre retraçant son histoire. Entretien avec Rhoda Tchokokam, autrice d’un essai passionnant sur une musique souvent mal comprise.

Le saviez vous? C’est un Belge –Benny B, avec Vous êtes fous!- qui est l’auteur du premier véritable tube de l’Histoire du rap (en) français. Oui, bon, OK, sur ce coup-là, on ne vous apprend rien… Mais étiez-vous au courant que ce sont également des Belges, d’origine congolaise -Fred Fraikin et Guy Waku- qui ont commis le premier vrai hit R&B francophone, en produisant le Dieu m’a donné la foi, d’Ophélie Winter?

Dans les deux cas, le morceau a cartonné. Dans les deux cas, il a aussi agacé les puristes. Depuis, les genres ont essaimé et le malentendu s’est dissipé. Du moins pour le rap… Pour le R&B, par contre, c’est nettement moins évident. Mal connu, mal aimé, il souffre en quelque sorte du syndrome de “l’éléphant dans la pièce”: le R&B est partout, mais personne n’en parle vraiment. Ou alors mal.

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C’est le constat de Rhoda Tchokokam, autrice de Sensibles, une histoire du R&B français, publié aux éditions Audimat. “J’ai commencé à écrire sur cette musique dans les années 2010, parce que je ne me retrouvais pas dans ce que je lisais. Que ce soit dans la presse généraliste ou culturelle, les articles étaient invariablement médiocres. Clairement, les journalistes ne savaient pas de quoi ils parlaient.” Après 30 ans d’ancrage francophone, le genre n’avait même jamais eu droit à la moindre réelle publication d’envergure. En cela, Sensibles est une grande première.

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Comment expliquer ce désamour? Dans son livre, Rhoda Tchokokam cite notamment le sociologue Karim Hammou parlant du “R&B, cumulant l’illégitimité de ses associations aux commercial, au féminin et au populaire. En d’autres mots, rien d’étonnant à ce qu’un style attribué généralement à des femmes noires ou arabes, issues des banlieues, soit largement “déclassé”… “Je pense aussi, continue Rhoda Tchokokam, qu’il y a simplement une incompréhension de la musique même. On a souvent tendance à la juger à partir des critères de la chanson française. Mais il y a une manière de chanter propre au R&B, qui passe notamment par les vibes, ces mélismes vocaux caractéristiques du genre.” Et puis il y a l’importance du texte en chanson, qui serait moins cruciale dans le R&B. Même si les “wizzz, bam, shebam” du Comic Strip de Gainsbourg ne sont pas non plus de la grande poésie contestataire…

Destins croisés

Plus souvent qu’à son tour, le R&B made in France va donc être classé tricard, rangé au rayon variété. Il faut dire qu’il a aussi souvent tendu le bâton pour se faire battre. “Au début, c’était la stratégie de Sensitive, le premier label de R&B français: reprendre des classiques de la chanson/variété, à la sauce R&B. Sauf qu’ils se font très vite rembarrer. On leur disait que c’était de la soupe. »

Un exemple? « Quand Melgroove reprend Pas toi, le titre est rejeté par toutes les radios. Il faut que Jean-Jacques Goldman lui-même valide la version pour qu’elle commence à tourner. Plus tard, Lââm fait également un carton avec sa cover de Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux, de Michel Berger. Après, on peut se demander ce qui reste de R&B dans ces propositions… Que ce soit dans la manière de chanter, dans les productions complètement vidée du moindre groove, etc.

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Voix de l’ombre

À l’autre bout du “spectre”, les liens avec le rap sont plus directs. Mais pas forcément toujours plus simples. “Le rapport est intéressant parce qu’une des spécificités du R&B français est qu’il arrive après le rap. Contrairement aux États-Unis, où il était déjà installé quand le hip-hop est arrivé. Le premier type de R&B français, c’est d’ailleurs du new jack swing, un style très proche du rap dans les sonorités.” Dans la foulée, de nombreuses chanteuses R&B viendront également donner de la voix sur des titres rap. Mais sans être toujours créditées -quand Karima décède en 2019, beaucoup apprennent que c’était elle qui chantait le refrain de Bad Boys de Marseille, le tube d’IAM et la Fonky Family…

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Il y a souvent l’idée que le rap a soi-disant permis au R&B de s’installer, alors que, dans les faits, le rap s’est surtout servi du R&B pour asseoir sa popularité…

Cette histoire particulière, Rodha Tchokokam la raconte dans un essai passionnant. Sensibles navigue entre prise de vues plus panoramiques (le chapitre sur l’image des féminités noires dans les clips de R&B) et analyses de certains albums en particulier -“souvent, les artistes me disaient que c’était la première fois qu’on leur posait ce genre de questions, où l’on s’attardait vraiment sur la musique. Dans ce récit s’entrecroisent aussi bien K-Reen que Nâdiya (Et c’est parti), autant La Compagnie Créole que Teri Moïse (Les Poèmes de Michelle) ou Amel Bent. Avec au bout du compte, l’envie de (ré)écouter certains artistes. Et surtout de les aimer un peu mieux…

Sensibles, une histoire du R&B français ****1/2, de Rhoda Tchokokam, éditions Audimat, 350 pages.

© National

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