Vous aussi vous avez la moutarde qui vous monte au nez? Pas de panique, c’est normal. L’inverse serait même plutôt inquiétant. Si vous arrivez à enchaîner 24 h sans monter dans les tours au-delà de la norme recommandée par l’OMS et sans avoir au moins une fois envie de dégommer votre prochain (cochez la bonne réponse: enfant(s), mari ou femme, voisin fan de Pierre Bachelet, Bono, automobiliste bourru, Céline Dion, l’inventeur des centraux téléphoniques automatisés, fonctionnaire frustré derrière son guichet…), c’est soit que vous avez avalé la tablette de Xanax avec vos corn-flakes, soit que vous sortez tout juste de la projection de Uncle Boonmee, le baume cinématographique du docteur Weerasethakul. Pour les autres, et ils sont nombreux, les petites et grandes démangeaisons (de Bart le fossoyeur à Pancol la diseuse de bonne aventure) qui ravagent l’épiderme de l’ordinaire auront immanquablement mis vos nerfs à vif. Si nous étions tous passés par le laboratoire du docteur Bruce Banner, la ville serait d’ailleurs peuplée de bonhommes verts en haillons courant dans tous les sens. Rien de neuf sur le front de la nervosité ambiante, diront les experts du climat maussade. Tout le monde se souvient en effet de Michael Douglas pétant un plomb, et même le tableau électrique entier, dans le prophétique Falling down (1993). Ou de la tension ruisselant à grosses gouttes de la pellicule de Spike Lee dans l’étouffant Do the right thing (1989). Mais ce qui n’était alors que quelques pics sporadiques sur le sismographe artistique s’est transformé en éruption permanente. Le monde entier est un cactus comme disait l’autre. Chacun a une bonne raison d’être énervé. Et chacun est la cause de l’irrita-tion d’au moins une autre personne. Les artistes et les médias se nourrissent de cet état d’insurrection permanente. Certains distribuent les claques avec humour, comme nos confrères de Libération qui taillaient cet été une tringle entière de costards à des personnalités populaires. A leur tableau de chasse: les petits vices d’Amélie, les moustaches écololénifiantes de Yann Arthus ou la fausse modestie de l’ogre médiatique PPDA. D’autres ont la dent plus dure. Dans son style marbré habituel, Bret Easton Ellis cryogénise son époque. Son vénéneux Suite(s) impériale(s) (Robert Laffont) harponne la paranoïa, la solitude et l’aliénation avec la douceur du tortionnaire enfonçant ses aiguilles dans le cuir de sa victime. D’autres encore appellent un chat un chat. Comme le multi instrumentiste Pascal Fioretto, qui publie ces jours-ci un Petit dictionnaire énervé de nos vies de cons (les Editions de l’Opportun). D’une plume biseautée, il tranche dans le lard de toutes les postures contemporaines, de la fête des voisins aux chauves à col roulé en passant par le bio, les flashmobs ou le développement durable. Allez hop, une petite citation au vitriol pour la route:  » On croise le cocaïnomane dans deux états différents: high (quelques minutes après le rail) ou down (quelques années après plein de rails).  »

Par Laurent Raphaël

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