En une poignée de films, le cinéaste espagnol Jaume Balaguero a imprimé sa griffe sur le cinéma d’épouvante. Confirmation avec l’épatant Rec.

Un long métrage, à peine, et Jaume Balaguero s’imposait comme l’un des maîtres de l’horreur. C’était en 2000, et La Secte sans nom amenait une mère au bout de l’effroi en même temps qu’il révélait un talent fulgurant. Depuis, le réalisateur espagnol a maintenu le cap, façonnant un univers singulier et régalant les amateurs de frissons au gré de Darkness, Fragile et autre A louer.

Affolant film de zombies, Rec ( voir notre critique en page 31) traduit une évolution sensible dans l’approche du cinéaste. Il s’en ouvrait tout récemment lors du Bifff, une manifestation dont il est un habitué, chacun de ses films y faisant fureur. « Paco Plaza (co-auteur du film) et moi avons voulu tourner un film d’horreur plus proche des spectateurs, une £uvre où on les laisserait s’immiscer dans l’histoire afin d’obtenir un résultat plus terrifiant. L’idée d’utiliser le langage du direct télévisuel s’est alors imposée », explique Balaguero dans un français impeccable. Particulièrement efficace – le film suit une équipe de télévision accompagnant des pompiers en mission, pour bientôt se retrouver enfermée dans un immeuble infesté de zombies -, le dispositif n’est pas sans évoquer celui à l’£uvre dans C’est arrivé près de chez vous. « Oui. Les références sont nombreuses, approuve le réalisateur. Les films qui nous ont le plus influencés sont Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, et La mort en direct de Bertrand Tavernier. Mais nous avons surtout été inspirés par la télévision, les reportages en direct ou la téléréalité. »

Même si ce n’est pas là l’objet premier de Rec, on ne peut s’empêcher d’y voir une critique féroce du support. « Il s’agit d’un film d’horreur destiné à ce que les gens s’amusent, crient, sursautent, du pur divertissement. Mais en même temps, il y a une réflexion autour du pouvoir des médias qui créent une réalité qui n’existe qu’en leur sein. Ce sujet nous intéressait, de même que les limites éthiques ou morales qui en découlent. » Et d’ajouter: « La télévision, en Espagne, est devenue absolument illégale. On y voit des choses dont on ne peut que se demander comment on a permis de les tourner. Mais c’est le signe du temps: je vis dans ce monde, il est chaotique, mais c’est le mien, et je l’accepte. Même si je peux le regretter ou en être affecté. »

L’état du monde, Jaume Balaguero s’y réfère encore quand il s’agit d’évoquer la résurgence du film de zombies. « On peut avancer une explication anthropologique: les zombies, le rapport à la maladie, à la contagion que l’on trouve dans ces films sont des métaphores du sentiment des gens confrontés à la situation apocalyptique du monde actuel. Mais on peut aussi y voir une raison industrielle, Hollywood recyclant ce qui s’est fait ailleurs ou avant. » Pessimiste, sans doute. Mais aussi pragmatique. Comme lorsqu’on évoque un parcours le conduisant, indifféremment, de productions anglo-saxonnes en films espagnols. « La seule différence, c’est la langue, observe-t-il. J’appartiens à une génération très éclectique. »

JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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