VIVRE SA MORT N’EST PAS UN DOCUMENTAIRE COMME LES AUTRES. SUR UN SUJET DÉLICAT, IL VALIDE UNE FOIS DE PLUS L’APPROCHE D’UN CINÉASTE PRIVILÉGIANT LE VÉCU.

Il a parqué son vélo devant le Botanique tout proche. A presque 74 ans (il les aura le 29 mars), Manu Bonmariage ne se déplace en ville qu’à bicyclette, quelle que soit la météo! Cet amoureux de la vie consacre son nouveau film (lire critique page 35) à la fin de deux hommes que la maladie condamne et qui espèrent partir dans la dignité. Bonmariage trouve comme toujours le regard juste pour chroniquer les derniers mois de Philippe et de… Manu, suivis en parallèle pour une vision ouverte, non idéologique (car si l’un fera le choix de l’euthanasie, l’autre suivra le chemin que sa foi et celle de ceux qui le soignent continuent à indiquer comme le bon). Le film s’appelle Vivre sa mort, il donne beaucoup à ressentir, à réfléchir aussi. Manu Bonmariage y confirmant la grande valeur cinématographique et humaine de son travail dans ce qu’il préfère appeler « cinéma direct » plutôt que documentaire.

Interrogé sur cet art qui est le sien de toujours trouver la juste distance quand il filme, le réalisateur belge explique que la première source est… le fait qu’il soit borgne! « Ma mère, très catholique, avait suivi l’invitation du curé du coin d’accueillir un enfant en difficulté durant les vacances, se rappelle-t-il, et c’est ainsi qu’un petit René, arrivé de Nancy, est venu habiter chez nous. Mon père, garde forestier, avait fabriqué un arc en coudrier et des flèches. Une de ces flèches, décochée par René, est venue me priver de l’oeil gauche… » Doté, depuis, d’une vision monoculaire, Bonmariage n’en a pas moins quitté sa campagne, arborant un cache-oeil façon pirate, pour devenir cameraman puis réalisateur! De son handicap, il a su faire une vertu, « percevant de manière très aiguë les distances, la profondeur de champ, et l’absolue nécessité de me mettre au bon endroit, en permanence, pas seulement quand je regarde dans le viseur de la caméra. » La question du positionnement, d’être « à la bonne place » vis-à-vis des personnages, s’inscrivant dans le contexte plus global de l’intimité, « cette intimité qui fait que les gens filmés soient immédiatement perceptibles dans ce qu’ils sont profondément et même dans ce qu’ils pensent. »

Oser!

« Ce n’est pas moi qui fais le film, ce sont les personnages qui le font, et qui doivent savoir qu’ils le font« , clame un cinéaste qui n’a de cesse de « privilégier le vécu, beaucoup plus que le témoignage« . La preuve encore avec ce nouveau filmdont les deux « acteurs » principaux « se sentent investis par leur propre raison d’être, en l’occurrence ici de vivre chacun sa mort… » C’est Philippe qui a déclenché le projet en abordant Bonmariage à la sortie du cinéma Plaza à Hotton (« le merveilleux cinéma de mon enfance!« ), où le réalisateur venait de projeter son film précédent, La Terre amoureuse. « Il était très tard, Philippe m’a dit qu’il était atteint d’un cancer et qu’il ne pensait pas pouvoir s’en sortir. Une rencontre avec Gabriel Ringlet(1) inspira au cinéaste l’idée d’un parallélisme avec un autre personnage, lui aussi en fin de vie, et très différent. » Ce fut l’autre Manu, libre-penseur, qui fera le choix de décider de son départ là où Philippe fait celui de ne pas briser le tabou. Bonmariage filme l’un et l’autre avec « le recul nécessaire« , sans rien laisser paraître de sa propre position philosophique. Il cadre sobrement, mais avec quelle émotion, « ce besoin d’être encore, encore » de l’humain qui décline. Il s’approche si près, presque à en toucher la peau qui bientôt périra. C’est très fort. C’est très beau. C’est « osé » (un des mots préférés d’un cinéaste qui sut souvent braver les interdits), mais toujours justifié.

(1) PRÊTRE ET ENSEIGNANT, QUI ACCOMPAGNA LE NOBEL BELGE CHRISTIAN DE DUVE DANS SA FIN DE VIE ET SON EUTHANASIE.

TEXTE Louis Danvers

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