EN MAI DERNIER, RAMS ÉTAIT LE PREMIER FILM À DÉFENDRE LES COULEURS DE L’ISLANDE À CANNES DEPUIS 22 ANS. SON RÉALISATEUR GRÍMUR HÁKONARSON EST RENTRÉ AU PAYS AVEC LE PRIX DE LA SECTION UN CERTAIN REGARD.

« Bien sûr cette sélection a une portée symbolique importante. J’espère qu’elle sera bénéfique au film, mais aussi au cinéma islandais en général. Et puis à l’industrie du mouton!« , plaisante le réalisateur lorsque nous le rencontrons sur une terrasse aussi ensoleillée que Rams est brumeux. Mais plaisante-t-il vraiment? À l’image de son film, Hákonarson est un homme difficile à saisir, taciturne et maniant l’humour à froid. « Dans les pays nordiques, on ne se parle pas beaucoup« , explique-t-il. Et si l’idée de deux frères éleveurs de moutons vivant et travaillant sur les terres familiales sans s’être adressé la parole depuis 40 ans peut nous sembler surréaliste, elle n’en est pas moins plausible. « Ce n’est pas si rare en Islande, nous assure-t-il. J’ai entendu plein d’histoires de ce genre. Je suis né à Reykjavik mais mes parents ont grandi dans des fermes et je connais bien cet environnement. Je me suis inspiré de cette culture, du tempérament de ces régions retirées. »

« Au départ j’avais deux idées de film. Je les ai combinées parce que l’épidémie faisait une toile de fond plus originale pour l’histoire des frères qu’un trio amoureux par exemple! » Lier l’histoire des frères fâchés à celle d’une épidémie qui force un éleveur à planquer son troupeau pour éviter qu’il soit abattu: le choix permet aussi au réalisateur de capter un mode de vie en voie de disparition. « Il y a 100 ans, tout le pays vivait comme la communauté que je décris dans le film. Mais pour les gens de ma génération, cet éloignement de tout, ce rapport intense aux éléments, c’est devenu très exotique! Depuis les années 80, au moindre cas suspect on abat tous les moutons d’un secteur. De vrais massacres! Et des négociations à n’en plus finir. Mais personne ne prend plus la parole pour défendre les éleveurs. Sans vouloir faire un film militant, je trouvais intéressant de mettre au jour ce genre de pratique. »

Cette position de témoin, Hákonarson l’adopte sans difficulté, étant déjà un cinéaste reconnu dans le documentaire. Une expérience qui a cependant pu poser problème au tournage. « J’ai l’habitude de tout faire moi-même, donc j’étais parfois pénible, j’avais du mal à déléguer, j’allais racheter des vêtements à de vrais éleveurs pour les donner à la costumière, je voulais tout contrôler! Mais il y a tellement de paramètres à gérer que j’ai bien fini par devoir abandonner. Au final, la fiction est tout de même plus confortable, l’équipe est plus motivée parce que tout le monde est payé! » Même si on ne se refait pas. Une séquence clef de Rams prenant place au coeur d’une tempête de neige s’inspire ainsi de son expérience du documentaire. « Le résultat à l’écran est un mélange de canons à neige, d’une vraie tempête qui nous est tombée dessus et d’images de synthèses. Je suis très content car c’était un énorme défi pour moi. Après ça, je m’attendais à recevoir un coup de fil de Hollywood pour m’inviter à réaliser Fast & Furious 8, mais non« , conclut-il le plus sérieusement du monde avant de craquer et de lâcher un sourire.

« La ligne entre la comédie et le drame est difficile à tenir. Par exemple, les scènes autour de Noël étaient plus longues au départ, mais c’était trop drôle et ça déséquilibrait le film, alors on a coupé dedans. » Hákonarson se révèle en effet un cinéaste pointilleux et Rams un film très maîtrisé malgré les conditions de tournage. « Je crois que le film a un rythme qui reste très documentaire, mais rien n’était fait au hasard, tout était story-boardé, les acteurs n’ont pas improvisé. La démarche n’est pas du tout la même. Et puis, même si j’avais trouvé des personnes réelles qui vivaient une situation similaire, je ne pense pas qu’ils auraient accepté que je les filme, c’est ça le grand avantage de la fiction! »

RENCONTRE Matthieu Reynaert, À Cannes

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