Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

FINALISTE OUTSIDER DU GONCOURT, FRÉDÉRIC VERGER SIGNE UN PREMIER ROMAN D’UNE SOUFFLANTE MAÎTRISE. UNE GRANDE SAGA WAGNÉRIENNE IRONIQUE ET TOURBILLONNANTE.

ARDEN

DE FRÉDÉRIC VERGER, ÉDITIONS GALLIMARD, 478 PAGES.

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Il aura fallu cinq ans à celui qui se décrit volontiers comme un écrivain du dimanche pour échafauder Arden. Frédéric Verger, prof de lycée de son état, le reconnaît: si l’imposant roman (478 pages sans chapitre) est le premier à voir la lumière, il n’est pas le seul qu’il ait écrit. L’aveu a de quoi réconforter, qui rappelle que l’arbre d’un premier livre, quand il est un coup de génie comme celui-ci, cache parfois une forêt de brouillons sur lesquels un primo-romancier s’est fait la main.

Au coeur de la réussite Arden, il y a une saga. Solide, épatante, tourbillonnante. Nous sommes dans les années 40 en Marsovie, genre de « Monaco des Carpates » que Verger imagine « fiché entre la Hongrie, la Roumanie et l’Ukrainecomme le confetti d’une fête lointaine soufflé là par le vent« . Alexandre de Rocoule, descendant d’une vieille famille française émigrée en Allemagne, est le directeur d’Arden, ancien sanatorium reconverti en hôtel de luxe, lourdes tentures romantiques et mobilier Biedermeier, valses étourdissantes et buffets à rallonge, planté au beau milieu d’une forêt au feuillage d’argent. Homme à femmes sur le retour, « valseur et fornicateur« , Alex de Rocoule, admirateur de Strauss en même temps que des vieilles opérettes de la Paramount, passe ses heures perdues à composer des airs avec son ami tailleur juif Salomon Lengyel. Qu’importe si leurs 52 opérettes, naïves et grotesques, restent inachevées (conscients que la plupart des auteurs y trahissent leur amateurisme, ils sont incapables de se mettre d’accord sur un final), Alex et Salomon coulent des jours rêveurs et insouciants au coeur d’un hôtel devenu atelier: « (…) comme aucune de leurs oeuvres n’avait été représentée, ils en vinrent à considérer l’hôtel comme une espèce de scène de province où s’ébauchaient les répétitions de leurs succès futurs. »

C’est sans compter sur l’Histoire en marche: le Grand-Duché entame bientôt la terrifiante recension des Juifs, et Alex propose à Salomon et à sa fille Esther (délicieuse au demeurant) de se cacher dans les recoins d’Arden, déserteurs auxquels s’ajoute bientôt une troupe de musiciens en fuite. L’occasion, pour Alex, de monter une ultime opérette, alors que les troupes allemandes se déploient dans la sombre forêt alentour…

L’attirance des contraires

Disons-le d’emblée, Arden n’est pas un roman historique au sens habituel du terme: la Seconde Guerre mondiale y joue avant tout sur une portée mythologique, participant à la construction d’une illusion géographique et romanesque -la Morsavie, son climat, ses rues, ses habitants- savamment composée. Le roman est peuplé de personnages délicieux: sous les grands lustres de ce coin d’Europe central fantasmé, Verger croque avec une foule de petits détails tragi-comiques les hautes aspirations et le débonnaire mondains -suite irrésistible de tableaux proustiens. Le tout faisant l’architecture d’une épopée à la fois doucement naphtalinée et inventive, où l’académisme apparent est désamorcé par un génial sens de la parodie. Idéalisme et pragmatisme, lyrisme et ironie: les contraires s’orchestrent dans une impeccable grande vadrouille wagnérienne, soufflante (première) oeuvre de la maturité.

YSALINE PARISIS

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