LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE CONSACRE UNE REMARQUABLE EXPOSITION AU CINÉASTE AMÉRICAIN, DONT L’oeUVRE S’INSCRIT AU CONFLUENT DE DISCIPLINES DIVERSES ET DONT LE NOUVEAU FILM, THE SEA OF TREES, SORT SUR NOS ÉCRANS LA SEMAINE PROCHAINE. VISITE ET INTERVIEW.

Seizième long métrage de Gus Van Sant, The Sea of Trees a pour titre français Nos souvenirs. Et ce sont précisément ces derniers qui affleurent alors que l’on découvre l’exposition que lui consacre, jusqu’au mois de juillet prochain, la Cinémathèque française. Portant un regard panoramique sur le parcours de l’artiste américain, né à Louisville, Kentucky, en 1952, mais installé de longue date à Portland, Oregon, la visite s’ouvre sur une large galerie de ses photographies -la discipline où il a fait ses premiers pas, dès le milieu des années 70 -, et notamment les polaroïds accumulés entre 1983 et 1999. De Kirk Acevedo à Renée Zellweger en passant par Nicole Kidman, Anthony Kiedis, David Bowie, Francis Ford Coppola, Julianne Moore, David Byrne, Tom Robbins, Keanu Reeves ou Allen Ginsberg, ils sont là par dizaines à tendre au spectateur le miroir du temps qui passe -trouble garanti, et Van Sant lui-même concède avoir été étreint par l’émotion et même la tristesse en découvrant l’accrochage, et certaines choses qui « s’étaient estompées dans sa mémoire ».

Unique par sa multiplicité

Ces polaroïds, le pendant si l’on veut des Screen Tests d’Andy Warhol, le cinéaste a commencé à les prendre à des fins de casting, s’armant d’un appareil équipé d’un objectif fonctionnant avec des négatifs lorsque, au coeur des eighties, il se lance dans la préparation de ses premiers longs métrages, Mala Noche puis Drugstore Cowboy. Et de saisir en un même mouvement l’instant et les gens, célèbres ou anonymes, dans ce qui, à quelque 30 ans de distance, tient encore lieu de portrait éclaté d’une certaine Amérique alternative. L’un des intérêts de l’exposition créée sous la conduite de Matthieu Orléan est assurément de souligner combien le parcours de Van Sant, si le cinéma en est le fil rouge, s’inscrit au confluent de disciplines diverses. Les correspondances entre son travail de cinéaste et de plasticien -il s’est encore risqué à la peinture, avec un bonheur moindre cependant- sont nombreuses en effet, tantôt manifestes, tantôt souterraines. Et l’on peut ainsi à bon droit parler d’une galaxie Van Sant qui se serait épanouie dans des directions diverses. Le site de la Cinémathèque en proposera, du reste, une extension à compter du 30 avril sous l’intitulé La constellation Gus Van Sant, courant de la Beat Generation aux frères de cinéma.

Découpée pour sa part en cinq chapitres –Photography, Cinepark, Constellations, Painting et Music-, l’exposition permet aussi de prendre la mesure de la singularité et l’originalité d’une oeuvre polymorphe. Président de l’institution de la rue de Bercy, Costa-Gavras évoque un « créateur unique par sa multiplicité ». Et c’est bien la vision d’un auteur qui s’impose par-delà le caractère hétérogène d’une filmographie où l’audace expérimentale (Even Cowgirls Get the Blues, Gerry…) côtoie les productions de studio (Finding Forrester,Good Will Hunting), où le remake improbable (Psycho) voisine avec le biopic politique (Milk), où la griserie générationnelle (My Own Private Idaho) tutoie le surgissement de la mort, pratiquement omniprésente, jusqu’à The Sea of Trees.

Nouveaux territoires

« Le cinéma de Gus Van Sant est la plaque sensible de ce temps de l’Histoire américaine postmoderne (post-Pop, post-Nouvel Hollywood, postmilitantisme), entamée au mitan des années 1980″, souligne le commissaire de l’exposition. Indépendante, anticonformiste, la démarche de Van Sant s’inscrit dans le prolongement d’une contre-culture qu’incarnaient William Burroughs, Allen Ginsberg ou autre Ken Kesey, héritage assumé dont on trouve ici de nombreux témoignages, filmiques ou autres. Partant, le cinéaste signe une oeuvre fascinante, arpentant l’inconscient américain au côté des outsiders ou d’une adolescence qu’il filme mieux que quiconque, et sondant les dégradés de l’american dream avec une douceur et une mélancolie qui n’appartient qu’à lui.

Si la Frontière fait désormais figure de mythe, Van Sant n’en a pas fini quant à lui de défricher de nouveaux territoires, s’employant à décloisonner les champs artistiques -le chapitre consacré à la musique en est également le reflet- ou à toujours réinventer les formes. Démonstration, par exemple, avec l’expérience Psycho susmentionnée, faux remake plan pour plan du classique de Hitchcock (« un film a une vie propre, on ne peut vraiment le dupliquer, la personnalité du cinéaste est déterminante », explique-t-il à ce propos), la scène de la douche faisant, pour le coup, l’objet d’un éloquent montage double écran. Démonstration, encore, avec le schéma narratif décrivant les différents déplacements des personnages d’Elephant et empruntant volontairement la silhouette d’un éléphant. Ou, enfin, avec les plans de tournage de The Sea of Trees, montrant des mouvements de caméra décidés aléatoirement selon un principe de jetés de dés. Manière de souligner combien pour l’auteur de Paranoid Park, la création reste toujours une aventure…

GUS VAN SANT, CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, PARIS, JUSQU’AU 31/07. WWW.CINEMATHEQUE.FR

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Paris

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