RÉVÉLÉ PAR UN HIT ACCIDENTEL (LE REMIX DE ONE DAY), ASAF AVIDAN PANSE SES PLAIES À COUPS DE BLUES ÉCORCHÉ. PORTRAIT AVANT UN NOUVEAU CONCERT BRUXELLOIS ULTRA-COMPLET.

Certains disques ne prennent pas la peine d’enfiler de gants. Le dernier album d’Asaf Avidan, Different Pulses paru au printemps dernier, commence sans détour. Dès la première phrase: « My life is like a wound/I scatch so I can bleed » (« Ma vie est une blessure/que je gratte pour pouvoir saigner »). L’intéressé rigole: « Hé, la vie n’est pas simple! A partir du moment où vous commencez à vous poser des questions, elle devient même problématique. C’est marrant parce qu’en hébreu, quand quelqu’un se convertit, on dit littéralement qu’il a « trouvé les réponses ». Si vous n’êtes pas religieux, et que vous essayez de trouver des explications, il n’y a pas grand-chose à quoi s’accrocher, n’est-ce pas… »

Première des énigmes: l’envergure internationale qu’a prise la carrière d’Asaf Avidan. Un vrai mystère. Ou plutôt un accident. L’an dernier, le DJ berlinois Wankelmut glisse sur YouTube le remix qu’il a fait d’un titre d’Asaf Avidan, One Day/Reckoning Song. Sorti à l’origine en 2008, le morceau folk est transformé en ballade dance entêtante à la Moby. Avidan grimace. Le remix cartonne. Sa carrière décolle… Cette année, on a déjà pu le voir une première fois sur la scène de l’AB, puis sur celle de Werchter avant de revenir remplir une nouvelle fois la salle bruxelloise.

Autant d’occasions de dissiper l’un ou l’autre éventuel malentendu. Comme celui qui ferait d’Avidan un one hit wonder alors que ses héros sont Dylan et Janis Joplin, et qu’il ne semble aspirer qu’à une certaine gravité et une profondeur, loin de l’escapism dance. Sa voix androgyne a également pu troubler. On ne lui en parle pas, comme on passe rapidement sur ce qu’il pourrait dire de son pays. « Je comprends que cela puisse venir sur le tapis. Mais je ne suis qu’une voix parmi d’autres, je ne me vois pas me transformer en porte-drapeau et parler au nom de 7 millions de personnes. »

Cancer à terre

Le fait est peut-être aussi qu’Asaf Avidan, né à Jérusalem, n’a réellement appris à connaître son pays qu’à l’âge de douze ans. Avant cela, ce fils de diplomates fut trimballé à gauche et à droite, de la Jamaïque à l’Asie. « A chaque fois qu’on bougeait, je devais me faire de nouveaux amis, comprendre la langue, l’humour, la société… Quand on est rentrés au pays, cela n’a pas été simple de trouver ma place. J’étais un gamin plutôt intelligent, mais à l’école cela n’allait pas trop. J’étais un ado en colère. J’avais la rage, je me battais souvent. Mes parents ont divorcé aussi. Ma mère m’a sauvé en me dénichant cette sorte d’école artistique. »

Il prend l’option cinéma. Plus tard, il se branche sur le dessin, la peinture, et l’animation. La musique? « Je n’avais aucune aptitude. Je ne savais ni jouer d’un instrument, ni chanter. » Il y a bien une guitare, offerte par sa mère, mais il y touche à peine. Jusqu’à ce qu’une déception amoureuse particulièrement douloureuse le laisse groggy. Avidan cherche un exutoire. Le besoin, l’urgence d’expulser ce qui le ronge. « Une question de nécessité. J’avais des choses à dire, mais faire un film, un dessin animé, cela prend des mois. Donc j’ai ressorti ma guitare, appris de nouveaux accords. Cela m’a servi de thérapie. » On est en 2006. Il poste deux premiers morceaux sur Myspace. « J’ai reçu trois commentaires et pour moi c’était déjà incroyable. Cela m’a donné envie de chercher d’autres lieux pour toucher les gens. »

La suite est connue. Trois albums avec son groupe the Mojos -distribués par une major, mais publiés en indépendant-, un tube sorti de nulle part, puis le nouvel album, solo cette fois. Avec toujours ce falsetto étranglé, organe batracien qui chiale des blues-folk, vaguement enrobés de programmations. Ici et là aussi, quelques références bibliques –« Mais L’Odyssée d’Homère aussi. Disons que la Bible est un bon bouquin, avec de bonnes histoires, des personnages forts… mais bon, cela fait plusieurs milliers d’années qu’on la lit, elle n’a peut-être pas besoin que je fasse sa promo (rires)« .

Aussi sombre que soit parfois la plume d’Asaf Avidan, elle ne semble jamais tout à fait désespérée. L’énergie des survivants, certainement, pour celui qui a traversé un cancer diagnostiqué à 21 ans. Sur les notes de pochette de Different Pulses, il remercie d’ailleurs encore le personnel soignant de l’hôpital qui l’a traité. « Quand j’ai écrit ce disque, cela faisait dix ans que j’avais terminé ma thérapie. Je n’avais plus fait de check up depuis au moins cinq ans, alors que je suis censé en faire un chaque année… Oui, je sais… Bref, quand je suis finalement retourné à l’hôpital, ils étaient tous là: les mêmes docteurs, les mêmes infirmières, toujours présents, à consacrer leur vie à soigner les gens, en sachant qu’une partie ne pourra pas guérir… J’essayais d’imaginer leur propre psychologie, ce qu’ils mettent en place pour traverser tout ça… »

On comprend mieux du coup certains échos de l’album. Qui se termine comme il a commencé. Frontalement. « This is it« , avec plus grand-chose à escompter derrière… « Cela dépend. On peut y voir aussi une note d’espoir. Oui, cela se finit toujours mal (sourire). Mais une fois que vous l’admettez, vous pouvez en effet soit vous écrouler, soit chérir chaque journée. Et vivre. Trouver certaines sources de -je n’aime pas le mot, mais… – bonheur, ou de contentement dans ce que vous faites. Et vous diriger vers les choses que vous voulez vraiment faire, dans lesquelles vous croyez. Parce que le reste est une perte de temps. »

?ASAF AVIDAN, DIFFERENT PULSES, DISTR. UNIVERSAL. EN CONCERT LE 12/10, À L’AB, BRUXELLES (COMPLET)

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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