UN DEUXIÈME COFFRET DE SUFJAN STEVENS ET UN PROJET BELGE, VALLEY OF LOVE, AUSSI DÉCALÉ QU’EXCITANT, DÉPOUSSIÈRENT LE CONCEPT DU DISQUE DE NOËL. HO HO HO…

Chaque année, alors que les fêtes approchent, l’industrie du disque se charge de nous foutre les boules avec ses best of qui sentent le sapin et ses mauvais albums de Noël qui fleurent bon les supermarchés et les catalogues de jouets. Nouvelles idoles adolescentes (Lady Gaga, Justin Bieber), stars de la variétoche (Céline Dion, Mariah Carey), francophiles contaminés (Tino Rossi, Dalida, Franck Michael), acteurs de série télé (David Hasselhof, Roseanne Barr)… De quoi remplir un rayon entier chez Carrefour.

Préparez le traineau, sortez les rennes et faites tinter les cloches. Excitant projet belge, Another Christmas Album de Valley of Love, sorti sur le label Cheap Satanism Records (ça ne s’invente pas), dépoussière solidement le concept. Tout commence en 2009. A l’époque, Gil Mortio se lance dans un projet, Les Garçons du futur, avec Karim Gharbi et Dan Barbanel. Le groupe fait long feu. « C’était un peu trois coqs dans la même basse-cour, raconte-t-il. Ça ne marchait pas des masses. » Mais il a le temps d’enregistrer une chanson. Une chanson de Noël (« c’était un mois avant les fêtes« ) intitulée Valley of love. Gil sollicite Philippe Tasquin et Garrett List, son prof d’impro au conservatoire, pour la face B. Sortie du 45 Tours et rideau.

Deux ans plus tard, le mec de Joy as a Toy collabore avec François Vayana. Vayana a vécu à New York quand il était gosse. Il adore les chansons dédiées au gros barbu et l’incite à repasser les plats. « J’ai pondu deux morceaux mais je les ai terminés trop tard. Des titres de Noël qui sortent le 1er janvier, ça fait un peu con. Je les ai mis au frigo et je me suis décidé à en enregistrer de nouveaux pour sortir un album en 2012. »

Gil « Spector » aime l’idée de bosser sur des chansons de Noël pendant l’été. Comme pour les quatre premiers morceaux, il demande aux artistes de se mélanger, de provoquer des rencontres et de faire en sorte qu’il y ait deux dénominateurs communs. Lui et Santa Claus. « Le choix des gens s’est fait de manière arbitraire et aléatoire. Au hasard des rencontres et des concerts que j’allais voir. »

L’Américain Seth Faergolzia par exemple assure la première partie de Jeffrey Lewis aux Ateliers Claus. « Je lui ai soumis l’idée. Il a proposé un hip hop. Je l’ai pris au mot. On a tout fait via Internet. Une partie de ping-pong du XXIe siècle. »

Méchant Noël

Enregistré dans des corridors, des living-rooms, des studios à Bruxelles surtout mais aussi un peu à Louvain-la-Neuve, Liège, New York (Faergolzia) et Barcelone (Roig), Another Christmas Album est un disque voyageur sur lequel a notamment embarqué Boris Gronemberger de VO. « Louer un studio pendant un mois et demi n’était pas spécialement envisageable. Le jour où la Fédération Wallonie Bruxelles sponsorisera des albums de Noël à tire-larigot, on pourra repenser ce genre de projet. Là, j’ai fait avec les moyens du bord et je n’en suis pas mécontent. Chaque endroit a son propre son et a induit une manière de travailler. »

Le résultat est relativement décalé. « Des gens m’ont dit que l’album était parfait à écouter en faisant le sapin. Ça me ravit. L’approche est un peu borderline quand même. L’objectif que je m’étais fixé, c’était de toucher un thème populaire sous couvert d’un label indépendant. De se frotter aux musiques de Noël clichés et en même temps de rester alternatif. »

Le tout sans tomber dans le registre anecdotique et déconnade de ce qu’a pu proposer un René Binamé. « Valley of Love, c’est un sujet populaire mis entre les mains d’un fou furieux. Ça pouvait être satirique mais je ne voulais pas que ce soit pastiche ou drôle. Je tenais avant tout à présenter de chouettes morceaux. Le seul vraiment rigolo, c’est Méchant Noël. Il dure 20 secondes. Je ne pouvais pas demander autre chose à Pierre Vervloesem (producteur du premier dEUS, ndlr). C’est comme ça qu’il fait de la musique. Au radar. »

Gil a écouté deux ou trois fois le Christmas album de Phil Spector. « Un disque très ancré dans son époque. Avec un type d’arrangements bien précis. » Mais il ne concède dans sa discothèque que quelques compilations Douwe Egberts. « Pour sonner produit, ambitieux tout en gardant un cachet artisanal, tu es vite parti pour la gloire. Déjà, si tu dois payer ce qu’un disque pareil coûte vraiment, tu en as facilement pour 20 000 euros. »

Heureusement, il y a les artistes qui ont envie de se retrouver dans un projet associatif original. Des ingés son qui travaillent gratuitement. Des studios à prêter pour une soirée…

Disque officiel du marché de Noël bruxellois Plaisirs d’hiver, d’ailleurs vendu au pied de son immonde sapin sur la Grand-Place, Another Christmas Album n’est pas une compilation. C’est un disque d’auteur. Même si les auteurs sont multiples. « Je me demande ce que sera le prochain Valley of love. Je veux faire un truc dans le même esprit. Je cherche un bazar qui est dans l’inconscient collectif, populaire, qui a une tradition musicale de préférence. Et que je peux détourner gentiment, habilement. »

« Au-delà des trucs lourdingues comme Mariah Carey et compagnie qui signent les uns après les autres des variations autour des mêmes thèmes avec une vocation commerciale avant tout, je vois surtout l’album de Noël comme une tradition extrêmement puissante aux Etats-Unis, note Gil. C’est le fonds de commerce de Disney aussi. Avec ses choeurs et ses violons larmoyants. C’est un imaginaire. Un truc qu’on partage collectivement. Même ceux qui détestent. Pour résumer, c’est une atmosphère, quelques bonnes chansons et une énorme machine commerciale qui me dégoûte. »

Aux Etats-Unis, cette machine commerciale se met généralement en branle au lendemain de Thanksgiving, le quatrième jeudi de novembre. Lors de ce qu’on appelle le Black Friday. Le jour où les chiffres ne sont plus dans le rouge mais inscrits en noir sur les feuilles bilantaires des magasins. En gros, le moment où tout le monde commence -enfin surtout les plus prévoyants- à faire ses achats.

Les albums de Noël, ça vend énormément. Regroupés, les dix plus prisés (Justin Bieber, Glee, Andrea Bocelli, Susan Boyle, Josh Groban) se sont écoulés à 5,6 millions d’exemplaires aux Etats-Unis l’an dernier d’après le rapport 2011 de Nielsen & Bilboard. Selon ce même document, Christmas de Michael Bublé est, derrière Adele, le deuxième disque le plus vendu de l’année avec 2 452 000 copies.

Cet hiver, presque 35 ans après le tube You’re the One That I Want tiré du film Grease, John Travolta et Olivia Newton-John se réunissent pour un album en duo intitulé This Christmas. Se font rejoindre par Barbra Streisand, Tony Bennett et autres noms ronflant la dinde et la bûche. Les profits seront distribués à la Jett Travolta Foundation et à la fondation de lutte contre le cancer de Newton-John. C’est dans l’esprit. Rod Stewart, lui, a sorti Merry Christmas Baby. Invité Mary J. Blige et Michael Bublé. Il s’est même permis un duo virtuel avec Ella Fitzgerald. Certains ne se refusent rien.

Déjà coach de The Voice, Cee Lo-Green, la voix sensuelle de Gnarls Barkley, bouffe à tous les râteliers. Et s’est lui aussi offert un disque de Noël, Magic Moment, sur lequel Christina Aguilera vient pousser la chansonnette. L’industrie a depuis longtemps pigé l’enjeu et le potentiel commercial des disques de Noël. Mais ils sont aussi souvent un petit plaisir d’artistes. Les Américains sont de grands enfants et tiennent à ce qui reste la fête familiale par excellence. Alors, ils la célèbrent. Enregistrent des cadeaux à leurs gosses. Appellent à la réunion dans un pays immense où les familles sont parfois très éclatées géographiquement (Please Come Home For Christmas et autres joyeusetés)…

Elvis et Springsteen, Chuck Berry et Otis Redding. Frank Sinatra et Ray Charles, Bob Dylan et Stevie Wonder… Tous les plus grands ont chanté Santa.

Au point qu’on peut aujourd’hui passer un Noël engagé avec Happy Christmas War Is Over de John Lennon et Yoko. Un Noël sur la plage et la planche avec le Christmas Album des Beach Boys. Ou encore un Noël en Jamaïque en compagnie de Desmond Dekker et Lee Scratch Perry… Choisissez bien.

TEXTE JULIEN BROQUET

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