UNE FEMME SOUS INFLUENCE – SUITE À UN INCIDENT DE PARCOURS, SIRI HUSTVEDT S’INTERROGE SUR CETTE PART D’ELLE-MÊME QUI LUI ÉCHAPPE. « JE » EST UN AUTRE…

DE SIRI HUSTVEDT, ÉDITIONS ACTES SUD, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN, 224 PAGES.

« Qu’est-ce que le corps et qu’est-ce que l’esprit? Chacun d’entre nous est-il un être singulier ou pluriel? » C’est à ces questions que tente de répondre Siri Hustvedt après avoir été prise de tremblements au cours de l’éloge funèbre qu’elle prononça à la mémoire de son père 2 ans après le décès. Son essai analyse la lente et laborieuse traversée de ses interrogations pour donner un nom à ce qui s’est passé et reproduit à plusieurs reprises: syndrome migraineux vasculaire vomissant, hallucinations, sorcellerie, maladie organique du cerveau (formule rassurante qui ôte toute responsabilité)… A l’heure où la pharmacologie remplace trop souvent le rôle de la psychiatrie, l’auteure s’interroge, avec une rigueur toute scientifique voire chirurgicale, sur ces convulsions qu’elle ne peut en aucun cas prévoir. Sa connaissance sur le sujet est immense et les plus grands noms de la neurologie, de la psychiatrie, des neurosciences et de la psychanalyse défilent comme autant de morceaux d’un puzzle destiné à lui rendre son « Je ». Mais aucune proposition d’explication ne la convainc. Elle craint une vérité cachée révélatrice d’une forme d’hystérie qui l’a véritablement « fendue » en 2 et dont elle ne peut recoller les innombrables fragments: accident de voiture violent dont elle n’a retenu que le « post accident » stocké dans une  » belle indifférence« , expérience de  » la mainétrangère » indomptable, révélatrice d’un dysfonctionnement de son unité.

Questions sans réponses

Siri Hustvedt multiplie les recherches sur l’opposition corps/esprit et aborde aussi bien l’hypnose pratiquée par Charcot que l’écriture automatique ou encore les  » neurones miroirs » qui relèvent de l’empathie. Parfois, elle nous interpelle quand elle pose la question du libre-arbitre: en effet,  » notrecerveau déclenche inconsciemment des actions volontaires » et il devient dès lors probable que c’est un simple  » mécanisme qui décide que nous décidons« . Ou encore quand elle évoque un langage broyeur d’images et de mots qui occulte les « choses » dont on ne veut se rappeler. Ainsi la peur liée à un traumatisme, l’empathie exacerbée de certains qui projette les enfants sur leur doudou et l’impact des rêves si difficiles à interpréter car sans ordre cohérent. Sont-ils une autre façon de penser, de re-penser ou ne sont-ils qu’un  » dépotoir mental« ? Et de passer en revue les expériences mystiques, les hallucinations auditives pour finalement ne pas pouvoir répondre à cette question qui la taraude et qu’elle traque sans relâche: qui est cette femme qui tremble? Une anxieuse, celle qui serait atteinte d’une lésion non décelée, une hyperémotive? Ou les 3?

Le récit n’est en aucun cas nombriliste ni plaintif, il pose des questions qui très souvent nous concernent. D’ailleurs, si à la fin de l’essai, vous ressentez un léger tressaillement, dites-vous que c’est votre moi qui déborde  » vers une vaste mer d’inconscient, de ce que nous ne savons pas, ne saurons jamais et avons oublié« .

MARIE-DANIELLE RACOURT

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