Alors que Madonna conclut la tournée solo la plus rentable de tous les temps – 285 millions d’euros de recettes – U2 enchaîne avec son mégalo 360 Tour. La première division du rock ne connaît pas la crise. Une débauche de dollars qui tranche avec le quotidien des artistes belges…
e record de Madonna prouve que la phase de déclin des méga concerts hypra onéreux – à voir comme à produire – n’est pas encore entamée. Si la somme de 285 millions n’est en aucun cas le bénéfice affiché , elle n’en reste pas moins gargantuesque. Madonna a encore du boulot pour dépasser les mâles records: les Rolling Stones trônent toujours à la première place de la tournée la plus lucrative de tous les temps via A Bigger Bang (2005-2007) et une rentrée de 389,5 millions d’euros. Mais attention, un sérieux prétendant à l’ultra dikkenek tour est en route: U2 et son prototype rappelant un crabe géant du 360 Tour. La scène, construite en 3 exemplaires par U2 pour sa tournée mondiale qui se prolongera à l’été prochain, coûte entre 17 et 22,8 millions d’euros pièce… Etonnez-vous ensuite du prix des places de concert demandé par Bono & C° – 21 à 174 euros – que, visiblement, la Belgique n’est pas à même de s’offrir puisque l’actuelle tournée du groupe irlandais boude notre pays (1). Chez U2 – comme chez la plupart des dinosaures- , l’argent semble être le dernier atout saignant et trébuchant dans une ébouriffante liste de statistiques. Ah oui, la pince de crabe, qui peut supporter 200 tonnes et demande le transport de 127 camions, privilégiera aussi les spectateurs de » La zone rouge », assis au plus près de la scène pour des prix allant jusqu’à 1000 euros la place. Même si cet argent-là est destiné à divers organismes de charité – pour une somme globale de 9 millions d’euros- , le rock à ce niveau d’exploitation n’est-il pas devenu un brin ridicule? Le ticket U2 de ce 360 Tour, atteignant au marché noir la somme idiote de 5 000 euros, pourrait en être la preuve. Quoi qu’il en soit de nos considérations, les premières 24 dates européennes de cet été ont déjà rapporté à U2 plus de 131 millions d’euros.
Monsieur 50 %
Un documentaire à paraître à l’automne(2) annonce que Sly Stone, 66 ans, émarge désormais au welfare et aux services sociaux de Los Angeles, vivant dans des chambres d’hôtel sans étoile. Avec son groupe, Sly & The Family Stone – précurseur du funk à la Prince- , il a pourtant vendu des millions d’albums, Sly se mariant – le 5 juin 1974 – sur la scène du Madison Square Garden new-yorkais devant 20 000 fans en délire. Sly devrait donc être nanti, même si 40 ans de coke finissent par vous pourrir le budget. En cause réelle de cette ruine: un contrat signé à la fin des années 80 avec un certain Jerry Goldstein qui accepte de le manager et de le financer mensuellement. Quand les rentrées de Sly – errant et improductif – deviennent trop maigres pour Goldstein, celui-ci continue à percevoir les royalties des disques sans les ristourner à Stone. Arte povera. Le manager moderne est d’ailleurs une espèce strictement non philanthropique qui a pris un spectaculaire essor par le lien entre Elvis Presley et le Colonel Parker. Le bon colonel (1909-1997) était, de fait, un citoyen hollandais – non gradé – qui appliquait la méthode forte, prenant 25 % des gains d’Elvis au début, 50 à l’arrivée. Juste une façon de dire que l’histoire du rock est parsemée d’abus: Leonard Cohen vous le confirmera. En 2005, le barde canadien est dépouillé de 5 millions de dollars par son manager de longue durée qui finit aux abonnés absents, Kelley Linch. Il lui reste une misère de 150 000 dollars après 4 décennies de carrière cossue. D’où le long come-back scénique entrepris par Cohen dès 2008(3).
Exile – fiscal – On Main Street
Les pionniers, et puis les Beatles comme les Stones, feront largement les frais de financiers indélicats. Après s’être fait dépouiller du droit de pratiquement toutes les chansons des Stones sixties par Allen Klein, Keith Richards dira qu’il s’agit là » du prix d’une éducation ». Un joli terme pour affirmer que les Stones – comme les autres – géreront désormais solidement leur patrimoine, au plus près du corps, avec un bataillon d’avocats et conseillers fiscaux. Le taux d’imposition anglais sur bénéfices dépasse les 90 % dans les années 70? Qu’à cela ne tienne, les Stones s’exilent provisoirement sur la Côte d’Azur pour enregistrer leur meilleur disque, Exile On Main Street. Les fortunes se bâtissent à ce moment-là, principalement sur le très lucratif marché américain: le » rock des stades » y naît et prospère extraordinairement. En 1973, Led Zeppelin bat tous les records d’affluence en attirant 56 800 fans au Tampa Stadium, en Floride: c’est plus que les Beatles au Shea Stadium de New York en 1965! Barnum est entré dans la place et ne la quittera plus. Une pluie de fric tombe sur Led Zep, les Stones, les Who et les géants américains à la Fleetwood Mac(4), qui suivent ce chemin pavé d’or et, surtout, d’argent. Les sommes sont devenues tellement exorbitantes que l’exil fiscal se normalise au cours des décennies. Début 2007, U2 est vertement critiqué pour avoir établi aux Pays-Bas une série de compagnies qui y profitent d’un taux d’impôts exceptionnellement bas. Mais ce sont les Stones – décidément pionniers en toute matière – qui ont ouvert la route du dégrèvement batave. Ainsi, ces 20 dernières années, Mick Jagger, Keith Richards et Charlie Watts ont mis sur pied une série de fondations hollandaises qui leur ont permis de percevoir quelque 450 millions de dollars (313 millions d’euros) et de ne payer qu’un peu plus de 7 millions de dollars d’impôt, soit un taux ridiculement bas de 1,5 %. Didier Reynders n’a pas fait de commentaires.
(1) Avec une possibilité de passer par la Belgique lors de la seconde partie européenne de la tournée en été 2010.
(2) Coming Back For More de Willem Alkema.
(3) Le retour scénique est d’ailleurs une classique fantastique manne financière: chacun des 3 membres de Police a ainsi perçu pratiquement 20 millions d’euros pour la tournée souvenir 2008.
(4) Le groupe est, de fait, anglo-américain.
Texte Philippe Cornet
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