Mauvais Karma – Nouvelle star des lettres américaines, Junot Díaz raconte le combat d’une famille contre le mauvais sort. Brillant.

De Junot Díaz, Plon, traduit de l’américain. 294 pages.

Les plus brillants jeunes écrivains anglo-saxons contemporains sont parfois lents à passer la seconde. Entre son recueil de nouvelles, Pour soulager d’irrésistibles appétits, et son premier roman, Le Ministère des Affaires spéciales (tous deux traduits chez Plon), Nathan Englander a laissé s’écouler huit ans. Junot Díaz, quant à lui, était apparu sur le devant de la scène littéraire américaine en 1996 avec Drown, un recueil de dix nouvelles. Le jeune natif de Saint-Domingue, où il a vu le jour le 31 décembre 1968, avait immédiatement reçu le soutien d’ardents défenseurs: le grand Hanif Kureishi saluait en lui un « talent puissant, nouveau, authentique ».

Prix Pulitzer 2008

Déjà notre homme excellait dans ces histoires à peindre les communautés urbaines défavorisées du New Jersey où il s’était installé en 1974, à imposer d’entrée de jeu un ton et une langue. Mais depuis, plus rien, Junot Díaz restait désespérément silencieux. Il fallut attendre 2007 pour le voir enfin ressurgir avec La brève et mystérieuse vie d’Oscar Wao qui nous arrive enfin aujourd’hui. Une £uvre incroyable, brillante, poignante et drôle, qui lui valut notamment le prix Pulitzer 2008, récompense raflée rien de moins qu’à la barbe d’ Arbre de fumée de Denis Johnson (aux éditions Christian Bourgois)!

On lira ici l’histoire du dénommé Oscar Wao. Vrai tombeur des bacs à sable dans sa prime jeunesse – il avait, à l’âge de sept ans, deux petites amies en même temps, « son premier et dernier ménage à trois » -, celui-ci devint un adolescent introverti à la surcharge pondérale. Lecteur de Stephen King, fan de science-fiction hardcore et de fantasy, passionné par les sous-cultures, il envisagea de consacrer sa vie à la conception de jeux de rôle avant de se mettre en tête d’être écrivain et de devenir le « Tolkien dominicain ». Oscar se trouve être le petit-fils d’Abelard, chirurgien qui fut emprisonné à cause d’un prétendu « fâcheux Commentaire ». Et le fils d’une Dominicaine de l’Ancien Monde, Belicia Cabral, trahie jadis par son amant de l’époque, un gangster aux cheveux teints, marié de surcroît à la s£ur du tristement célèbre Rafael Leonidas Trujillo Molina. Trujillo, « El Jefe », le « Voleur de Bétail raté », ou encore « Face de Gland ». L’un des plus abominables dictateurs du xxe siècle dont l’emprise s’exerça sur la République dominicaine de 1930 à 1961 avec une brutalité implacable. L’action se déroule entre Paterson, dans le New Jersey, et un Etat que ses personnages ont fui puis parfois regagné au fil des années. Conteur agile capable de vous emmener où il veut, Junot Díaz fait swinguer une langue copieusement métissée tout du long d’un éblouissant tour de force impossible à lâcher où l’on passe du rire aux larmes. Histoire épique et tragique d’une famille livrant un perpétuel combat pour échapper à une malédiction ancestrale, le « fuku », La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao s’avère totalement à la hauteur de sa réputation. On a envie de crier Wao(uw).

Alexandre Fillon

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