Focus est allé au concert accompagné d’un sonomètre, l’ami qui mesure le volume sonore. Et qui ne se trompe jamais.

Samedi 31 janvier Bertrand Burgalat Orangerie du Botanique

Le son des six musiciens est bon, compact, soudé, l’Orangerie, garnie mais pas trop; cela veut dire que le son ne rebondira pas dans un espace vide qui pourrait ajouter une inutile réverbération. Première mesure face à la scène, à sept ou huit mètres, bien calé au centre de l’espace: 100 dB. Quand le style est plus funky, notamment lorsque la chanteuse April March vient prêter sa voix à l’orchestre de Burgalat, le sonomètre s’échauffe un peu. Un maximum de 109 dB est signalé. Mais à l’oreille, le concert est équilibré, les instruments – même dans leurs pointes épiques – sont tolérables. Exceptionnellement, pas de bouchons protecteurs. Après le concert, pas de signe d’acouphène supplémentaire. Première leçon: le son, c’est d’abord une question de balance.

Mardi 3 février Joy, Witloof Bar du Botanique

Première bruxelloise pour la nouvelle formation de Marc A. Huyghens. Il délaisse les fastes de Venus pour le cocon de Joy. Huyghens assure chant et guitare, une choriste-percussionniste (et nouvelle fiancée) occupe l’autre côté de la scène. En léger retrait, la violoncelliste joue une intro (71.7 dB). En plein jus à trois, quatre mètres, cela nous donne du 101.7 dB, il suffit de reculer derrière la table de mix et on plonge à 88.2 dB. Nous décalant sur le côté gauche, à côté de l’enceinte, on est à 96.7. Inutile de dire qu’à cet endroit précis, autour des baffles, c’est le festin habituel de la musique. L’endroit où elle fait ses plus gros pics de colère. On rencontre Bruno, ex-bassiste de BJ Scott, qui raconte son expérience des acouphènes:  » Ils sont arrivés sans que j’aie vécu un traumatisme sonore particulier, mais l’audiologue m’a expliqué quel’oreille est comme la peau, elle ne peut supporter qu’une certaine quantité de bruit dans une vie… En Suisse, les contrôles sont extrêmement stricts même si on peut les contourner: on jouait dans un festival où lors du passage de Neil Young, le volume était quand même assourdissant. Simplement, le promoteur avait budgété l’amende – 12 500 euros -, vu que Young refuse de baisser son volume… ». Deuxième leçon: le rock, c’est d’abord une question de sous.

Dimanche 8 février Zita Swoon Bourla, Anvers

La salle du Bourla est une bonbonnière du 19e siècle aux balcons épiques, un théâtre aux stucs dorés et au plafond vertigineux où il doit bien y avoir quelques angelots grassouillets sortis de la famille Rubens. Neuf cent personnes, le concert comme celui de la veille est sold out. Zita Swoon donne une performance autour d’un danseur de la fameuse troupe flamande Rosas. Place assise, huit ou neuf mètres au centre-gauche face à la scène. Impossible de bouger, mais il est clair que le volume sonore est plus « théâtre » que rock: on est généralement autour des 92 dB. A un moment particulier, lorsque les deux choristes-danseuses poussent un coup de soul dans le néo-folk bazar de Zita, l’écran du sonomètre indique 102.1 dB. Troisième leçon: on trouve aussi son plaisir dans la retenue.

Jeudi 12 février Tina Turner Palais des Sports, Anvers

Grande salle, gros son? On est assis à la droite de la scène, à une vingtaine de mètres à vol d’oiseau de son centre. A la façon dont la sono se dérouille avant le concert – Sledgehammer de Peter Gabriel – on sent que mère Turner va faire claquer la sono face à l’assistance, assise et mélangée, 15 à 65 ans. Puis Tina débarque, toute en lamé or, sur le Get Back des Beatles et fait d’emblée monter le sonomètre à 107.2 dB. Six musiciens, deux choristes, quatre danseuses, le show a beau être routinier dans sa chorégraphie comme dans sa musique, le son grimpe vite à 110 dB, les aigus font mal, tout comme le coup de grosse caisse. On s’éloigne, à environ quarante mètres de la scène, sur la droite, on est descendu à 103 dB et au bout du parterre du Palais des Sports – 60 ou 70 mètresde la sono -, on en est à 99 dB. Pas de doute, c’est beaucoup plus confortable… Dans le couloir, le sonomètre affiche 82 dB, on peut reparler sans hurler. Christian Verwilghen, de Live Nation, promoteur du concert explique les règles en vigueur:  » Contractuellement, nous prévoyons une limite de 105 dB – à la table de mix – qui est une norme européenne. Il est extrêmement rare que l’artiste refuse cette limitation. Pendant les concerts, cela dépend à la fois des autorités locales et de la salle. A Anvers, par exemple, ils semblent assez tatillons sur la norme, à Forest-National, la police vient régulièrement vérifier, même si le chef de salle exerce déjà un contrôle assez strict. Si la norme est dépassée, on demande au mixeur du groupe de baisser le son jusqu’à 105 dB. Parfois, il rechigne mais il s’exécute, c’est la loi ». Mais à l’Ancienne Belgique par exemple, la direction a décidé de mettre la limite à 102 dB. A la table de mixage, au milieu de la salle donc, avec un contrôle sévère. Problème inamovible: près des enceintes, le son est plus fort. Et c’est là, de préférence, qu’on se bousille les oreilles. L’AB distribue gratuitement des protections sonores. Quatrième leçon: un cadre légal est nécessaire.

Dimanche 22 mars Judas Priest Forest-National

Le Heavy Metal, ça gueule: un cliché? On le vérifie avec les hardeurs anglais de Judas Priest. Prémisses: de l’extérieur, Forest en tremble déjà. Le concert a commencé depuis quelques minutes, on va droit vers la scène. Un premier arrêt à une quinzaine de mètres, boum 108.2 dB! Armé de protections dans les oreilles, on se colle aux enceintes à droite de la scène. Pas possible de mesurer discrètement le volume du son, sécurité omniprésente. L’expérience est troublante. Impression d’avaler du son jusqu’au fond de la bouche. Tout tremble, les basses viennent ravager le colon, grimpent dans l’estomac, montent à la tête. C’est extrêmement désagréable, la musique n’est plus que vibration. Même avec des earplugs, ce n’est pas longtemps supportable. Autour de moi, des tas de types – guère de filles – headbangers stoïques, fascinés sans doute. Une seule explication plausible: ils doivent déjà être complètement sourds. Sinon, cela pourrait bien être pour ce soir. Cinquième leçon: la musique dans cet état-là, ce n’est plus vraiment humain. l

Le décibel est une mesure de l’intensité sonore, une unité acoustique qui sert notamment, via un sonomètre, à déterminer le niveau des concerts comme de tout bruit ambiant. Au-dessous de 20 dB, le son est pratiquement inaudible pour l’oreille humaine, il devient douloureux à partir de 80 dB, dangereux à 100 dB, insupportable à 120 dB.

merci à paul heymans / triangle 7

Texte Philippe Cornet

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