Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le funky nigérian intensifie encore ses liens avec son pays névrotique dans Nigerian Wood, disque traversé par le fantôme spirituel de Fela.

Le cinquième album studio de Keziah est tout en politesses soul, courbures funky et parfums nigérians. Ce dernier ingrédient fait monter la sauce, imprégnée des épices touffues de Lagos, ville-océan.  » J’ai écrit Lagos vs New York parce que les deux villes se ressemblent et rivalisent dans leur volonté d’être les plus grandes. Pour la première fois depuis très longtemps, le pays connait un semblant de stabilité et les multinationales font pousser buildings et malls tout au long de Lagos. » Au quotidien nigérian, ce chaos post-moderne se marie aux survivances tribales, décisives dans ce pays de 140 millions d’habitants traversé par les coups d’Etat et le pouvoir insensé du pétrole.

Un prince Yoruba

Keziah, de son vrai nom Olufemi Sanyaolu, appartient aux yorubas, l’une des trois ethnies dominantes. Il vient de ce qu’il est convenu d’appeler une « grande famille », dominée par un père chef traditionnel et richissime homme d’affaires.  » On ne parlait pas anglais à la maison, je devais parler, manger et m’habiller yoruba. A chaque fois que je rentre chez moi (Ndlr: il vit entre Paris, Londres et New York) , ma mère me demande quand je vais enfin me marier et lui faire un petit-enfant dans lequel se réincarnera forcément la figure de mon père… Chez moi, il y a une galerie de photos où l’on voit mon père serrer la main de tous les dictateurs du Nigéria. Et ils sont nombreux (sourire) . Il l’a fait pour garantir la viabilité de son business et je le comprends. »

Keziah, né en janvier 1968, sait que pour sa famille son parcours est un signe de rupture et de transgression. Ses parents n’ont pas forcément compris le chemin qui a mené leur rejeton des meilleures boarding schools anglaises au métro parisien, où un directeur artistique le découvre faisant la manche sur ses chansons en 1991. L’un des plus beaux moments de Nigerian Wood est aussi celui qui traduit le mieux ce décalage de générations: Brothers, émouvante ballade cotonneuse, est dédiée à son frère aîné. « Il a fait partie de cette génération qui aurait voulu faire ce que je fais mais qui n’en a pas eu la liberté. Plus métaphoriquement, je pense que mon rôle artistique est aussi de restituer dans ma musique ce que je perçois de la culture noire autour du monde, le slang, les vibrations, les réalités sociales. »

Plus d’une fois dans la conversation revient le nom de Fela, le grand provocateur, également yoruba et issu d’une autre famille proéminente du Nigéria. Keziah pourrait en être le neveu pop discipliné, réduisant la voilure des rythmes et des contestations de l’iconoclaste parrain. Mais dans des titres comme 1973 ou même Unintended Consequences, il est clair que l’héritage politique de Fela n’est pas mort. « Tu me demandes si le Nigéria est une démocratie? Bien sûr que non, le pays est toujours le client des multinationales. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il faut abandonner l’idée de monoculture, il faut se métisser et notamment par l’identité sexuelle. Tous les gênes sont les mêmes. » Au boulot!

u Nigerian Wood chez Warner.u En concert, avec Patrice, le 15/11 à l’Ancienne Belgique.u www.keziahjones.com

Philippe Cornet

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