Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Sur les traces de Bunuel et Babenco, Karim Dridi oublie le politiquement correct dans son percutant Khamsa.

J e n’oublierai jamais l’impact qu’a pu avoir sur moi Los Olvidados, le film de Luis Bunuel (1). C’était il y a plus de 25 ans, mais je me souviens, comme si c’était hier, du choc qu’a constitué ce film. Un peu plus tard, j’ai vu Pixote d’Hector Babenco, tourné avec des enfants de la rue à Rio de Janeiro et à São Paulo, et j’ai pris une seconde gifle! Babenco avait voulu témoigner des conditions de vie horribles de ces gamins. Le môme qui jouait Pixote, le héros du film, est mort ensuite dans un braquage, à 17 ans à peine… Ces souvenirs entre cinéma et réalité m’ont laissé un traumatisme qui motive sans doute aujourd’hui Khamsa. « 

Karim Dridi ajoute le stupéfiant Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevski (1990) à la liste de ces rares films abordant l’enfance en danger sans la moindre trace de sentimentalisme et encore moins d’angélisme. Avec au contraire une lucidité terrible, qui fait mal et qui interpellera les spectateurs d’un Khamsa tout sauf politiquement correct ( voir notre critique en page 31).  » Quand enfance rime avec misère, la délinquance est inévitable. Il faut avoir le courage de ne pas se voiler la face à ce propos!« , clame le cinéaste français d’origine tunisienne.

Le réalisateur de Pigalle et de Hors-jeu nous fait suivre, dans son nouveau film, les évolutions de Marco, onze ans, moitié gitan moitié arabe, qui échappe à la famille d’accueil où on l’a placé pour revenir dans le camp rom des environs de Marseille où il est né.  » Il cherche sa place dans le monde, mais ce monde ne veut pas de lui« , commente Dridi qui ne masque rien des dérives criminelles guettant son jeune héros.

Pari risqué

 » Faire un film avec des enfants, j’en avais envie depuis bien longtemps, mais il m’a fallu acquérir la maturité nécessaire, poursuit le cinéaste. Aujourd’hui j’ai 47 ans, j’ai deux enfants, j’ai quelques longs métrages derrière moi. Il fallait bien ça, parce que tourner avec des enfants est difficile, et avec des enfants exclus ce l’est encore plus. Le pari était très risqué, surtout que Marco est un enfant gitan, et on sait quel rejet les gitans subissent en Europe en ce moment encore… » Karim Dridi parle de Khamsa comme d’un film « dangereux ».  » Dangereux à faire car très facile à louper, dangereux à montrer car il expose ce qu’on voudrait – hypocritement – ne pas voir.  »

Courageux quand il cadre l’exclusion dans les deux sens (une communauté est exclue mais s’exclut aussi parfois elle-même), quand il se refuse aussi à enjoliver le tableau existentiel, culturel, le film a également l’audace de chercher la beauté des images, des visages, des gestes, saisissant des traces d’innocence jusqu’au plus profond des dérives violentes de ses protagonistes.  » Mais c’est aussi un hymne au métissage, conclut Karim Dridi. A ce métissage qui est indispensable pour rêver d’un avenir…  »

(1) Los Olvidados, réalisé au Mexique en 1950, est une plongée sans concession dans l’univers cruel de jeunes délinquants misérables. Il fut présenté par son auteur comme « un film de lutte sociale ».

Louis Danvers

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