Juste une illusion

© ONE MINUTE TO ACT A TITLE: KIM JONG-UN'S FAVORITE MOVIES, 2018. COURTESY DE KUNSTENAAR EN JAN MOT, BRUSSEL; JOSÉGARCÍA ,MX, MEX

Réalité augmentée, médias obsolètes, récits suspects, images en mouvement… telle est la très conceptuelle proposition de Mario García Torres au Wiels.

La note est liminaire. Et comme toujours, ce qui est inscrit dans les marges en dit long. On serre précieusement contre soi les mots de l’artiste face à une démarche que l’on ne tarde pas à découvrir ambivalente et troublante. « En espagnol, ma langue maternelle, le terme ilusion a plusieurs significations. Il évoque une interprétation erronée des sens, quelque chose comme une apparence trompeuse, le fruit de l’imagination. Mais il est également utilisé pour exprimer un sentiment d’espoir, une attente positive. Illusion Brought Me Here est donc à la fois la perspective d’un événement favorable et une vision altérée, le mirage par lequel un voyage personnel est propulsé dans l’art », explique Mario García Torres (1975, Mexique) dans le petit livret qui sert de vade-mecum au visiteur. Ballottée entre leurre et faux-semblant, la conscience tente de s’accrocher à une terre ferme, elle qui, très rapidement, cherche son chemin dans un dédale de vidéos, installations et objets. C’est que García Torres fait s’écouler un véritable torrent visuel qui emporte le regard à la manière d’un morceau de bois sur un cours d’eau. À elle seule, la première salle en dit long sur le répertoire de l’intéressé. Le plus spectaculaire d’abord. On est invité à télécharger une application sur son smartphone. Celle-ci fait surgir une étrange intertextualité: des avatars des personnes, curateurs, photographes ou écrivains, qui ont influencé le travail de l’artiste. Leurs immenses silhouettes nous frôlent, spectres de l’inspiration qui rappellent que personne ne crée seul, jamais. Plus loin, le Mexicain offre une Caption Lesson à la faveur de quatorze tableaux sérigraphiés fonctionnant comme une loupe. Cet exercice sémiologique salutaire nous explique comment décrypter un cartel et peut-être en profiter pour faire l’économie de… l’oeuvre auquel il est accolé.

Go ahead and jump

Il n’est pas que question d’images, de mots et de représentations fixes dans ce solo show. La musique est également conviée. Notamment à travers la figure de Conlon Nancarrow (1912-1997) auquel le plasticien consacre une partie de l’exposition. Il faut dire que la démarche de ce compositeur américain naturalisé mexicain ne pouvait que fasciner García Torres. La majeure partie de son oeuvre a été écrite pour des pianos mécaniques dans la mesure où le musicien n’entendait pas se laisser dicter les partitions par les limites inhérentes aux capacités motrices humaines -ses pièces étant quasiment impossibles à jouer, même pour l’interprète le plus chevronné. L’ambivalence surgit à nouveau, et sidère forcément García Torres, car ce choix radical signe à la fois le génie de Nancarrow écartelé entre une liberté totale de création et l’impossibilité de donner son travail à entendre, ce qui n’a pas manqué d’assigner son art à l’isolement. De manière très avisée, García Torres se sert du Wiels pour déterritorialiser l’oeuvre du virtuose et ainsi en assurer le salut, ne serait-ce que par cette commande faite à Nils Frahm de réarranger des enregistrements jamais entendus auparavant. De musique, il est également question avec l’impayable Falling Together in Time, une vidéo de quatorze minutes qui fait jeter un autre regard sur la chanson Jump de Van Halen à la lumière d’un « écheveau de coïncidences ». Un récit passionnant qui tient le spectateur en haleine sans que ce dernier ne soit jamais en mesure de démêler le vrai du faux. Et vice-versa.

Illusion Brought Me Here

Mario García Torres, Wiels, avenue Van Volxem 354, à 1190 Bruxelles. Jusqu’au 18/08.

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