L’écrivain américain Harlan Coben (Ne le dis à personne, Promets-moi…) revient nous tourmenter avec Sans un mot (éditions Belfond). Et Nadine Monfils, auteur et collaboratrice de Focus, de mettre en scène le maître du polar dans une nouvelle… saignante.

C’était une de ces nuits où les étoiles ont oublié d’accrocher leurs rêves. Harlan roulait sur une route laquée de pluie. Ses essuie-glaces balayaient les feuilles venues s’agglutiner sur son pare-brise telles des phalènes, papillons aux ailes déchiquetées. Soudain, dans la lueur de ses phares, il aperçut une silhouette qui lui faisait des signes de détresse. Une femme d’une soixantaine d’année se tenait près de sa voiture garée sur le bas-côté. Il hésita un instant. Pas le temps. Envie de rentrer chez lui. Il est vrai que si la femme avait eu quelques années de moins et un physique de rêve… Mais son bon c£ur l’emporta et il stoppa.

– Ma caisse est tombée en panne, gémit la dame, avec un accent qui sentait la traite des vaches.

– Je ne m’y connais pas en mécanique, avoua Harlan.

– Pas ça que j’vous demande. Je voudrais juste que vous me rameniez chez moi, c’est pas loin, mais à pied, ça fait une trotte et par ce temps de merde…

D’emblée elle prit place à côté du conducteur.

– Si c’est pas indiscret, lui demanda-t-il, qu’est-ce qu’une femme seule fait sur cette route à une heure aussi tardive?

– J’étais allée à la pharmacie de garde chercher des médicaments pour mon mari qu’est malade. Et vous?

– Je rentrais chez moi.

– C’est quoi vot’boulot?

– Je suis écrivain.

– J’lis jamais. Pas le temps pour ces conneries. Les livres c’est que du blabla. Mais mon beau-frère qui travaille à la poste, y fait que lire, ce crétin. Et croyez-moi, ça le rend pas plus malin! Quand il sent un bouquin dans une enveloppe, il l’ouvre, le lit et le renvoie. Pour ça que des fois ça arrive avec des semaines de retard. Faut pas chercher plus loin. C’est quoi vot’nom que je lui dise?

– Harlan Coben.

– Pas un nom de chez nous ça. Z’êtes d’où?

– New Jersey.

– Connais pas. C’est ici qu’j’habite! fit-elle en lui désignant une baraque au milieu de nulle part. Venez boire un café pour la peine.

Harlan eut beau lui expliquer qu’il était pressé et que…

– Tatata! vous allez me vexer. Puis ça vous redonnera un coup de fouet. Allezhop!

Harlan pensa qu’après tout elle avait raison et il finit par accepter. L’intérieur de la maison était brut, sans chichis ni chaleur, à l’image de sa propriétaire. L’invité s’installa à la table de cuisine, sous une ampoule glauque. De grosses mouches bourdonnaient au-dessus d’un vieux pot de confiture resté ouvert. La femme commença à faire le café.

– Vous n’allez pas porter les médicaments à votre mari?

– Pas besoin.

– Ah bon? s’étonna-t-il.

– Il est mort.

Il sentit quelque chose de froid sur sa tempe. La femme se tenait debout à côté de lui avec un méchant flingue dans ses pattes striées de veinules rouges.

– Un regard de trop et j’te fais péter la cafetière.

Une dingue! C’est qu’elle avait pas l’air de rigoler la vieille taupe. En un rien de temps, Harlan se retrouva solidement attaché à sa chaise, le flingue toujours pointé sur ses neurones. La geôlière se dirigea vers le frigo, tout en continuant à braquer son arme sur son invité. Elle sortit un plat contenant un foie sanguinolent. Le jeta dans une poêle et le fit frire avec une pelletée d’oignons.

– J’aime pas trop la viande, avoua Harlan.

– Celle-ci est de premier choix. Marcel a été élevé ici, en plein air et ne mangeait que des produits du jardin.

– J’comprends pas…

– Marcel c’était mon mari. Un vrai connard. Une enflure de la première espèce. Quarante ans de ma vie avec ce débile qui me baisait chaque fois qu’il avait vidé son casier de bières. A croire qu’il me confondait avec le goulot! Un matin, j’me suis levée et je l’ai zigouillé. J’lui ai tranché le cou comme aux poulets, avec un grand couteau de boucher. Après ça, je l’ai coupé en morceaux et j’ai mis les sacs dans le congélo. En quinze jours, y a déjà la moitié qu’est parti. En plus, ça fait plaisir aux gens de passage.

– Ne me dites pas que vous faites le même coup toutes les nuits aux malheureux qui empruntent cette route? s’étrangla Harlan.

Elle se marra et lui planta une assiette garnie sous le nez. Au moment où elle coupa le foie en morceaux, Harlan faillit vomir. Ca dégageait une odeur âcre avec un mélange d’ammoniaque. Elle lui fourra de force le bout de foie dans le gosier. Il le recracha. Sentit le baiser glacial du flingue sur sa tempe et ouvrit la bouche comme un bébé. Il mangea tout, sans mordre, faillit s’étrangler en avalant un morceau trop gros. Il essayait de penser à autre chose. S’imaginait dans un bon restaurant en train de savourer un gigot. Mais c’était encore pire! Ah la garce! Ainsi elle avait égorgé son mari et faisait disparaître les restes dans l’estomac des malchanceux qui passaient par là…

La porte s’ouvrit et Harlan vit apparaître une espèce d’armoire à glace, du même âge que sa tortionnaire.

– Ah Marcel, ça va mon poussin? Ah, ah! Tu sais quoi? J’ai fait gober à cet abruti qu’il était en train de déguster ton foie.

Harlan se sentit soulagé. Comment avait-il pu croire cette folle, ne fût-ce qu’une minute? Cette débile avait juste cherché à s’amuser. Le mari allait le délivrer et ils allaient tous en rire.

– C’est pas mon foie que tu bouffes, s’esclaffa Marcel, c’est celui de ma belle-mère! On lui a fait sauter le caisson pour toucher son pognon. Toute façon, c’était une bique.

Harlan s’évanouit. Quand il se réveilla, il était au volant de sa voiture, garée en bord de route. Le jour se levait. Nulle maison à l’horizon. Pour sûr, il avait fait un cauchemar! Il ne remarqua pas tout de suite le mot accroché à l’essuie-glace: Ne le dis à personne.

Voir la critique de sans un mot en page37.

Nadine Monfils

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