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QUAND IL NE TOURNE PAS ENDÉRISION LE CHOC DES CIVILISATIONS (LA CROISADE S’AMUSE), LA PHILOSOPHIE (LA PLANÈTE DES SAGES) ET L’ÂGE DE PIERRE (SILEX AND THE CITY), L’AUTEUR ET DESSINATEUR JUL SCÉNARISE LUCKY LUKE. PORTRAIT ENGAGÉ D’UN HOMME PRESSÉ ET SOLIDEMENT ANGOISSÉ.

Non, il n’est pas plus marseillais que rappeur ou coiffé d’une coupe de footballeur. Ça, c’est l’autre Jul. Le pote de Soprano et de Maître Gims. De Cyril Hanouna et de Cauet. Julien Berjeaut, lui, il est plutôt Lucky Luke et Darwin. François Busnel (il a dessiné en direct dans La Grande Librairie) et Platon La Gaffe. Parcours d’artiste, cadence d’athlète. Né en 1974 à Maisons-Alfort, Jul, le futur dessinateur de presse et auteur de BD, entre dès trois ans à l’école Decroly de Saint-Mandé. La seule de banlieue parisienne. Dans cet établissement qui éveille l’esprit critique et pousse très tôt à l’autonomie, le fils d’enseignants se sent comme un poisson dans l’eau. « C’est le genre d’endroit où on se définit par ses aspirations et où on ne hiérarchise pas les arts. On ne m’y a jamais dit par exemple que les maths étaient mieux que le dessin. »Alors à dix piges, le petit Julien griffonne déjà l’actualité. « Quand il y avait un naufrage, un crash d’avion, une prise d’otages, j’en faisais des dessins pour rigoler. »

Graine de champion, le petit Berjeaut remporte à douze ans le troisième prix junior du Festival d’Angoulême. À l’adolescence, il se met à vendre pour 3 francs français ses dessins satiriques, plie quelques pages A4 et publie le Julien Déchaîné. « J’avais même réussi à fourguer des abonnements à des mères compatissantes. » Au Collège, Julien écoute les Cramps, adopte le look psycho (« genre punk en plus chic ») et garnit les rangs de la SCALP: la Section Carrément anti-Le Pen. « On organisait des manifs et des concerts. On placardait des affiches et des autocollants. Un moment d’enthousiasme entre mecs de quinze ans. J’avais le crâne rasé à l’époque, avec un tremplin sur la tête. »

Agrégé, prof en histoire à l’Université de Marne-la-Vallée et en histoire chinoise à l’ENS, Jul s’oriente début des années 2000 vers le dessin de presse. Il publie dans une trentaine de titres. Du Nouvel Observateur à L’Humanité en passant par L’Écho des savanes, Fluide Glacial, Marianne ou encore Philosophie Magazine. « Ces expériences m’ont aiguisé. Je ne suis ni Bilal ni Moebius. Moi, je fais de la parodie, de la satire. Je dessine des bonshommes avec de gros yeux. » En 2005, sa première BD, Il faut tuer José Bové, lui permet de régler ses comptes avec des soixante-huitards qu’il connaît bien.

« Je ne pense pas être quelqu’un de politique. Je prends autant mon pied à dessiner Johnny qu’à croquer Merkel. Mais j’ai toujours baigné dans un environnement politisé. J’ai par exemple étudié la guitare au conservatoire de Pantin (son frangin Antoine est trompettiste et joue notamment avec Aloe Blacc, son autre frère Simon est dans la chanson, NDLR). L’endroit où on recyclait les guérilleros chiliens qui avaient fui la dictature. Puis j’ai grandi dans un environnement militant. J’ai découvert le mot croque-mort à trois ans en même temps que le nom Chirac quand l’avenir de Decroly était menacé. Ça donnait un truc du genre: « Chirac. Croque-mort. Decroly n’est pas mort »… »

De quoi attiser une curiosité devenue chez lui si pas maladive quasiment obsessionnelle. Jul a fait du chinois pendant douze ans et s’est un temps pris de passion pour le rebétiko, musique populaire grecque ancêtre du gangsta rap… « Des intérêts soudains et intenses, dit-il, qui naissent au gré des rencontres. »

50 nuances de Grecs

Si la profession d’enseignant n’était définitivement pas faite pour l’impatient qu’il est, le scénariste et dessinateur a gardé la fibre éducative. Comme en témoigne La Planète des sages, son encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies. « Il y a une joie d’apprendre. De transmettre. Là, je travaille sur une nouvelle série d’animation pour Arte: 50 nuances de Grecs. C’est l’occasion de parodier la mythologie. »

Jul planche aussi sur l’adaptation cinématographique de sa saga familiale et paléolithique Silex and the City. Sa BD, qui vit ses dernières heures en télé (la cinquième et ultime saison a commencé début janvier sur Arte), est devenue un véritable phénomène… « Silex a toujours proposé une critique humoristique de la société. Se promenant du dérisoire au tragique. Mais du miroir qu’on tendait, une certaine vision du monde, une philosophie même, s’est dégagée. On pense qu’on progresse mais depuis 40 000 ans, on fait du surplace… »

Rêve de gosse. Jul (qui avait en 2007 reçu le prix Goscinny pour Le Guide du moutard) a aussi signé le scénario du dernier Lucky Luke, La Terre Promise, à nouveau dessiné par Achdé. « J’ai craqué sur le Lonesome Cowboy quand j’étais petit. J’avais un oncle VRP toujours sur les routes et, dans le temps, on distribuait des albums dans les stations-service. Il me ramenait donc des BD de chez Shell et Total. La Terre promise, c’est Lucky Luke et les Juifs. Parce que ça n’existait pas encore… Puis parce qu’à la veille de la fin du monde, je ne pouvais décemment pas faire Lucky Luke et les poneys magiques. » La fin du monde? De son propre aveu, Jul est un spécimen pessimiste. « Un grand angoissé. On se parle quand même le jour de la chute d’Alep. Le physicien Stephen Hawking a annoncé il y a quelques semaines la fin de l’humanité sur Terre dans moins de 1000 ans. C’est plus la peine de printer sur du beau papier et de construire en dur… »

SILEX AND THE CITY, DU LUNDI AU VENDREDI, À 20H45, SUR ARTE.

TEXTE Julien Broquet

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