Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ANNE WIAZEMSKY CLÔT LA TRILOGIE QU’ELLE COMMENÇAIT VOILÀ HUIT ANS AVEC JEUNE FILLE. UN NOUVEL ÉPISODE AUX CAMÉOS FAMEUX, HANTÉ PAR MAI 68 ET LE CINÉMA.

Un an après

DE ANNE WIAZEMSKY, ÉDITIONS GALLIMARD, 208 PAGES.

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« Plus tard, bien sûr, quand je vis les images de ce qui s’était passé à Cannes, la folie dans laquelle Jean-Luc, Truffaut, Louis Malle et même Jean-Pierre Léaud avaient mis fin au festival, je regrettai de ne pas avoir été avec eux, accrochée au rideau rouge. Je le regrettai d’autant plus que je savais que Jean-Luc avait raison: je n’avais fait aucun effort, vraiment aucun. Ces regrets, je les éprouve encore aujourd’hui. » Mai 1968. Anne Wiazemsky vient d’avoir 21 ans, et elle nage nue dans la Méditerranée. Le soulèvement cannois, l’annulation pure et simple de la grand-messe du cinéma, la jeune femme, égérie récente de Bresson (Au hasard Balthazar) ou Pasolini (Théorème), mariée depuis un an à l’admiré Jean-Luc Godard, ne les a pas vus venir. Pas plus, sans doute, qu’une fois rentrée à Paris, elle ne prendra la pleine mesure de la déferlante qui bat le pavé du Quartier Latin. Petite-fille de François Mauriac par sa mère, descendante d’une famille princière russe par son père, la jolie rousse est en l’occurrence toute entière à deux autres passions dévorantes (tourner des films le jour, aimer Godard la nuit). Ici pourtant, et davantage que dans les deux précédents volets de son autobiographie (Jeune Fille, sur sa rencontre avec Robert Bresson, suivi de Une année studieuse, sur la découverte de la philosophie et son mariage), les circonstances intimes se frotteront à l’Histoire. En plein tournage avec Brel et Girardot (La Bande à Bonnot, de Philippe Fourastié) quand l’insurrection étudiante éclate, Anne Wiazemsky se retrouve propulsée au coeur des événements -elle est ce qu’elle appelle un « témoin privilégié de l’époque« . Elle et Godard, de 17 ans son aîné, viennent d’acquérir un triplex à deux pas de la Sorbonne, c’est donc depuis leurs fenêtres qu’on suit le gros des événements. Tandis que Jean-Luc court les AG des lycées, Anne paresse au lit sur du Joan Baez ou du Bob Dylan; tandis qu’il achète un transistor pour écouter « Europe numéro 1 » avec ses amis marxistes-léninistes squatteurs de canapés, elle traverse Paris à patins à roulettes et rêve de tourner un grand film romanesque avec Bertolucci.

Marker et Rivette

A défaut d’un regard inoubliable ou d’un ton de vraie portraitiste, c’est dans une jolie bouffée de sincérité et de présent qu’Anne Wiazemsky cartographie les barricades et les rues dépavées de mai 68 (« On voit enfin Paris!« , se réjouira Godard, à la vue de la ville désertée des voitures). Et si il ne renoue pas tout à fait avec la grâce de Jeune Fille, son récit, à l’image de son quotidien d’alors, reste ponctué d’incroyables anecdotes (cette curieuse invitation de Paul McCartney à prendre avec lui le thé sous la table, l’incendie qui fait rage dans le studio londonien où Godard tourne avec les Stones) et de caméos fameux (John Lennon, Chris Marker, Gilles Deleuze ou Jacques Rivette, toutes icônes convoquées avec beaucoup de naturel -sinon parfois d’inconsistance). Peu complaisante envers elle-même, se montrant le plus souvent silencieuse, en position d’observatrice, Wiazemsky entoure ses pygmalions d’une admiration dont on sent encore aujourd’hui toute la spontanéité. Reste ce mois de mai historique à double face, violent et vital, qui reconduit quelque chose d’un amour dont le livre laisse apparaître les premières fêlures: elle, lumineuse, jeune, gourmande, Godard de plus en plus sombre, génie torturé et radical. Le texte les montre à plusieurs reprises géographiquement séparés; l’incompréhension ira grandissant -le couple se quittera définitivement quelques mois plus tard dans une grande douleur.

YSALINE PARISIS

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