AVEC SON NOUVEL ALBUM, HISTOIRE DE J. , CHERHAL RETROUVE SON PIANO POUR ONZE MÉLODIES AU PARFUM SEVENTIES, DÉCRIVANT LES TURBULENCES MULTIPLES DE LA CONDITION FÉMININE. JEANNE(S), JE VOUS AIME…

On la retrouve en fin d’après-midi, au 1er étage de la petite maison logée au fond de la cour du Théâtre 140, à Bruxelles. Quelques heures auparavant, Jeanne Cherhal se réjouissait déjà sur son compte Facebook: « Impatiente de retrouver ce lieu mythique et hanté (…). » Les fantômes en question? De Nina Simone à Serge Gainsbourg, de Nico à Claude Nougaro, de Pink Floyd à Barbara… Sûr que Cherhal doit s’y retrouver, dans ce mélange de géants de la chanson française et de légendes anglo-saxonnes, elle qui passe volontiers son temps à louvoyer d’un bord à l’autre. Un exemple, quand elle parle de son tout nouvel album, Histoire de J. : « Pendant l’écriture, j’écoutais beaucoup de mélodies des années 70. Carole King, Neil Young ou Michel Berger. » Cherchez l’erreur?…

S’il y en a une, alors c’est peut-être bien ce qui fait tout le charme de la jeune femme. Née il y a 36 ans du côté de Nantes, Jeanne Cherhal possède le petit grain de fantaisie et de liberté qui fait mouche. Un décalage léger, raccord à son air mutin et à sa coupe garçonne de fausse ingénue. Cela fait déjà dix ans maintenant qu’elle a sorti son premier véritable album (Douze fois par an). A l’époque, on l’a vite rattachée à la fameuse nouvelle (nouvelle) chanson française. Dans ses morceaux, elle parle pourtant moins du quotidien que de l’intime. Sans oublier le politique: elle donne un concert de soutien aux sans-papiers en 2010, lance une pique à Sarkozy en 2008 (son titre Si tu reviens, j’annule tout, glissé sur son MySpace), ou, plus récemment, compose un morceau de soutien aux Pussy Riots.

Entre les albums, Cherhal aime prendre son temps. « L’autre jour, un journaliste me lançait: « Donc, vous avez écrit onze chansons en quatre ans… » Bon, c’est un peu brutal, résumé comme ça. Mais en même temps, si ces morceaux ne sont pas trop mauvais, cela me convient. » Cela étant, depuis Charade (2010), la chanteuse n’a pas chômé. Il y a eu la participation à un opéra contemporain, et puis surtout l’épisode Véronique Sanson. En 2012, pour les 40 ans de sa parution, Jeanne Cherhal rejouait sur scène Amoureuse, le tout premier disque de Sanson. « Un an avant, je l’avais vue pour la première fois sur scène. J’ai pris une claque quand, à la fin du concert, ses musiciens l’ont laissée seule, jouer ses premiers titres au piano. Tout à coup, je découvrais un répertoire qui me parlait complètement! J’avais envie de lui rendre hommage. »

Influence Sanson

Du coup, quand plus tard elle se penche sur ses propres nouvelles compositions, Cherhal renoue avec son instrument de prédilection. « En me retrouvant face à mon piano, je me suis sentie peut-être davantage dans une bulle d’intimité. Comme s’il s’agissait d’une personne qui m’aidait à sortir les trucs les plus personnels. » Personnels au point d’être parfois délicats à exposer en pleine lumière. D’autant plus qu’ils sont cette fois heureux… « De toutes façons, ce disque est super autobiographique. Il correspond à là où j’en suis dans ma vie. »

Amoureuse, Cherhal balaie l’ironie de rigueur. Pas la pudeur. Il y a par exemple J’ai faim, mélodie seventies vibrante, brillante de justesse, ou Cheval de feu, qui s’essaie à la métaphore sexuelle, sur le fil, tandis que Comme je t’attends évoque elle le désir de maternité.

Histoire de J. , album de chanson-pop féminine? On soumet l’hypothèse… « Si ce disque l’est, c’est avant tout par son angle, sa démarche, ses préoccupations. Au-delà, je ne suis pas sûre qu’il existe une écriture masculine et une écriture féminine. » Un disque féministe, alors? « Ce n’est en tout cas pas un gros mot pour moi (sourire). » Le morceau Quand c’est non, c’est non évoque par exemple la question du viol et des abus sexuels. Récemment, une enquête livrait encore le constat suivant: une femme sur trois en Europe a subi une forme de violence physique ou sexuelle depuis l’âge de quinze ans… « C’est vraiment une question qui me préoccupe. » Parce que proche? « Disons que j’en parle suffisamment dans mes chansons, pour me sentir libre d’esquiver en interview (sourire). Mais bon, en disant ça, vous avez la réponse… Je sais en tout cas que je n’en aurai probablement jamais fini avec le sujet. » Sur Noxolo, elle ajoute à la cause féministe celle du combat contre l’homophobie, racontant l’histoire de Noxolo Nogwaza, militante lesbienne sud-africaine, violée et assassinée en 2011 en pleine rue par un groupe d’hommes. « J’ai lu son histoire dans la presse. Cela m’a complètement retournée. Vraiment, l’homophobie, c’est quelque chose que mon cerveau n’arrive pas à comprendre. Au moment des débats en France sur le mariage pour tous, j’avais super honte! On a vraiment dû passer pour des blaireaux. »

Entre emballements politiques et petit traité de vie intérieure, Jeanne Cherhal a ainsi troussé une emballante collection de chansons, déclinées au piano, emballées au féminin. Une sorte d’autoportrait sans fard, se permettant les imperfections du naturel. Dans L’Oreille coupée, elle fait d’ailleurs la liste de ses défauts. Cinq minutes d’autoflagellation rigolarde. On lui fait tout de même remarquer qu’il est impossible de collectionner autant de tares. « Et pourtant, je n’ai rien inventé (rires)… »

JEANNE CHERHAL, HISTOIRE DE J., DISTR. UNIVERSAL.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content