Jazzy dread

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Entre essence jazz et effluves reggae, la Londonienne Zara McFarlane multiplie les ponts entre les deux côtés de l’Atlantique. All Africa…

Zara McFarlane

« Arise »

Distribué par Brownswood.

8

On ne se lasse pas de voir les détours que prend le jazz actuel. Il faut encore une fois remercier la nouvelle génération. Elle n’a peut-être pas rénové de fond en comble le vénérable établissement. Mais elle a réussi à lui redonner une nouvelle pertinence. Biberonnée autant par les grands maîtres que par les productions hip-hop, la jeune garde a rappelé ce principe fondamental: le jazz est moins un genre qu’une matrice ouverte à toutes les greffes. Cet état d’esprit se retrouve aujourd’hui un peu partout. Notamment en Angleterre.

Née à Londres, d’origine jamaïcaine, Zara McFarlane sortait un premier album, Until Tomorrow, en 2011, suivi de If You Knew Her, en 2014. Sur ce dernier, elle prenait le pli de glisser, à côté d’une cover du Plain Gold Ring popularisé par Nina Simone, deux autres reprises atypiques: Angie La La, de Nora Dean, et le cultissime Police & Thieves de Junior Murvin. Soit deux morceaux tirés du répertoire roots reggae, passés pour le coup à la moulinette jazz.

Avec le nouveau Arise, Zara McFarlane réitère l’opération. Emprunté, cette fois encore, à Nora Dean, Peace Begins Within’ s’offre une échappée quasi bop, tandis que le Fisherman des Congos a l’audace de se passer de sa ligne de basse, reposant uniquement sur la voix de McFarlane, un piano pointilliste, des cordes plaintives et un tambour étouffé. Dans les deux cas, la mutation est réussie. Quelque part, ses deux reprises sont même les séquences les moins… reggae d’un album qui n’arrête pas, par ailleurs, d’y tremper les pieds.

Atlantique noire

Il y a quelques mois, Zara McFarlane sortait encore sa propre relecture du All Africa de Max Roach. Paru en 1960, le morceau évoquait la lutte des droits civiques et les nouvelles indépendances africaines, traçant un pont entre les deux continents, et clamant l’unicité des musiques afros. à sa manière, c’est cette même « Atlantique noire » qu’illustre Arise.

Zara McFarlane a décidé en effet d’y assumer un peu plus frontalement ses racines musicales et familiales jamaïcaines. L’album démarre par Ode To Kumina, courte séquence de percus-cuivres que l’on dirait enregistrée en pleine jungle, et qui fait référence à la tradition religieuse et musicale du même nom, ramenée par les esclaves du Bacongo sur l’île caribéenne. Si Pride a les accents euphoriques d’un jazz choral à la Pharoah Sanders, Fussin’ and Fighting avance, lui, au rythme reggae. De son côté, Freedom Chain laisse entendre des accents dub, tandis que Stoke On Fire permet à McFarlane d’emprunter le phrasé d’un Horace Andy.

Au final, Arise reste bien ancré dans le jazz, mais passé par le filtre personnel de son auteur. McFarlane partage son héritage jamaïcain avec le batteur Moses Boyd, qui joue et produit l’album. Au générique, on retrouve encore d’autres figures parmi les plus en vue de la jeune génération: que ce soit le saxo de Binker Golding ou le piano de Peter Edwards. On peut encore citer la présence de Shabaka Hutchings, dont la clarinette hante les quatre premières minutes de l’éblouissant Silhouette. Morceau de bravoure d’un disque qui puise dans l’intime, mais carbure au collectif.

Le 03/11 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

Laurent Hoebrechts

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