
James Caan : Jiminy Cricket et les piments rouges

Le dixième festival de Marrakech a brillé d’un éclat tout particulier, ajoutant à une sélection de qualité, une pléiade de stars, aimantées par la ville rouge. Parmi celles-ci, James Caan, l’inoubliable Sonny Corleone du Parrain.
Un festival de cinéma aux portes du désert marocain, le pari était audacieux, si pas improbable. Nombreux étaient d’ailleurs ceux à penser que celui de Marrakech disparaîtrait avant même d’être né, mirage emporté dans la tempête consécutive aux attentats du 11 septembre 2001. Neuf ans plus tard, l’oasis cinématographique chère au roi Mohammed VI a fière allure: la façade du Palais des Congrès est bardée des portraits des invités qui se sont succédé au gré des éditions, et une foule, jeune dans son immense majorité, se presse aux alentours, signe du crédit et de l’impact de la manifestation.
La dixième édition du FIFM est particulièrement bien balancée, il est vrai. La sélection combine séances de gala (Un balcon sur la mer de Nicole Garcia, Somewhere de Sofia Coppola…) à une compétition riche en découvertes (l’Etoile d’Or est allée à The Journals of Musan, du cinéaste coréen Park Jungbum, le prix du jury revenant pour sa part au film belge Beyond the Steppes), au même titre, d’ailleurs, qu’une sélection de courts métrages réalisés dans les écoles de cinéma du cru, et offrant un miroir à facettes multiples de la société marocaine. Enfin, et c’est là aussi l’intérêt de la manifestation, des masterclass de qualité permettent aux aspirants cinéastes de bénéficier des conseils avisés de maîtres, façon Coppola père ou Dardenne frères (lire par ailleurs), le quota de glamour étant pour sa part mieux qu’assurée par des hommages drainant des stars en nombre -ainsi, cette année, de ceux consacrés au cinéma français (80 films, couvrant les 30 dernières années, et autant de vedettes pratiquement, de Marion Cotillard à Jean Dujardin; on lira ci-dessous les coups de cœur de diverses personnalités), mais encore à l’un ou l’autre monstre sacré, au premier rang desquels James Caan, l’inoubliable Sonny Corleone du Parrain.
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The Jewish Cowboy a Hollywood
Dans le jargon journalistique, James Caan est ce que l’on appelle un bon client. De ceux qui truffent leurs propos d’anecdotes -avec une carrière qui s’étend sur un demi-siècle pratiquement, il y a de quoi faire-, assorties à l’occasion de bons mots. Le genre, par exemple, quand on lui demande comment un acteur de sa trempe a pu se commettre dans une série comme Las Vegas, à vous répondre par une expression de derrière les fagots –« Quand les temps sont durs, les singes mangent des piments rouges »-, ce qui a assurément plus d’allure qu’un quelconque « J’étais fauché et prêt à faire n’importe quoi. »
D’allure, Caan n’en manque pas lorsqu’il débarque à Hollywood au c£ur des sixties, pas plus que de toupet d’ailleurs, ce dont il est le premier à convenir – « j’étais pompeux et arrogant comme pas 2 ». Né dans le Bronx, dans une famille de bouchers –« j’ai transporté assez de pièces de b£uf à 4 h 30 du matin pour être certain de ne pas vouloir le faire le reste de ma vie »-, il suit dans un premier temps une route sinueuse qui le conduira notamment dans le circuit du rodéo, où il se fait un surnom, The Jewish Cowboy, avant d’intégrer les rangs de la Neighborhood Playhouse, à New York. Sûr de son fait, il rejoint la Mecque du cinéma, plein d’une morgue qu’il abandonnera bien vite, formé à l’école des Robert Mitchum et autre John Wayne. Si sa filmographie s’ouvre sur Irma la douce, de Billy Wilder, c’est Howard Hawks qui le fait connaître, en effet, avec Red Line 7000 tout d’abord; El Dorado, ensuite, où il a pour partenaires les 2 géants. « La première semaine, je tournais avec John Wayne. J’étais un gamin, et quand je l’entendais parler, je ne pouvais pas m’empêcher de sourire. Mitchum a débarqué 2 semaines plus tard, et il est allé voir les rushes. Il me surnommait Jiminy Cricket, à cause de mon chapeau, et il m’a avisé: « Jiminy Cricket, tu rigoles beaucoup là-dedans. « Mais comment aurait-il pu en aller autrement? Nous sommes devenus bons amis. Wayne était un dur, et aimait mon côté cascadeur. Quant à Mitchum, je l’adorais. C’est un des acteurs les plus sous-évalués de son époque. Il ne voulait pas qu’on le surprenne à travailler, et il jouait à celui qui n’en avait rien à foutre, mais il était excellent. Pour le jeune type que j’étais alors, se retrouver entre ces deux-là, c’était une fameuse expérience, même si je n’ai pas appris grand-chose. Qu’aurais-je bien pu apprendre, d’ailleurs? A marcher comme John Wayne? »
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12 morts à la page 20, sinon rien
C’est toutefois quelques années plus tard, à la faveur de The Godfather, de Francis Ford Coppola, que James Caan devient une star. Coppola et Caan ont grandi dans le même quartier, mais ne se sont connus que plus tard, après que le premier avait écrit le scénario de Patton. Dans la foulée, il demandera à Caan de jouer dans The Rain People, le début d’une fructueuse collaboration, dont le rôle de Sonny Corleone -le fils aîné du Parrain, et le plus impulsif aussi- reste le sommet incontesté. « Francis est le meilleur réalisateur avec qui j’aie jamais travaillé. Il connaissait tout, de chaque aspect du cinéma. Pour un acteur, il n’y a rien de tel que travailler avec un réalisateur en qui il ait confiance, et qui sache ce qu’il veut. Francis me laissait beaucoup de liberté, parce que cela correspondait à la nature du personnage. Ainsi, dans la scène du mariage, lorsque j’arrache son appareil à un photographe, un pauvre figurant, et que je le pulvérise. Ce sont juste des choses qui arrivaient, et Francis me laissait une marge de man£uvre… » Le résultat est tout bonnement phénoménal, et culmine dans la scène inoubliable du péage d’autoroute, gravée, de manière indélébile, dans la mémoire des spectateurs et sceau définitif sur le parcours de l’acteur:« Sonny a orienté la perception que les gens ont eue de moi. Pendant longtemps, s’il n’y avait pas 12 morts à la vingtième page du scénario, on ne me proposait même pas les rôles… »
La suite de sa carrière sera quelque peu erratique. Des réussites fulgurantes –The Gambler de Karel Reisz, Rollerball de Norman Jewison- y côtoient le franchement dispensable, Caan s’offrant par ailleurs le luxe, au sommet de sa notoriété (et après avoir trouvé le temps, suppléant Hal Ashby, de réaliser un petit bijou, Hide in Plain Sight, essai redécouvert à Marrakech, et resté sans lendemain, malheureusement, alors que s’y exprimait un authentique regard), d’une éclipse peu en phase avec les plans de carrière hollywoodiens. L’homme a, de toute évidence, un caractère bien trempé, et il ne faut d’ailleurs guère le forcer pour qu’il balance l’un ou l’autre morceau choisi, façon « L’industrie du cinéma, c’est n’importe quoi. » Quant aux acteurs, c’est peu dire qu’il les tient, globalement, en médiocre estime:« Ils sont tous gorgés d’auto-suffisance, tout en étant bien moins utiles à la communauté que les éboueurs. »
Il faudra dès lors l’insistance de son ami… Francis Coppola, pour l’arracher à son expérience d’entraîneur sportif pour jeunes, afin de tourner Gardens of Stone, en 1987. Ce qu’il apprécie, modeste:« Nous sommes restés amis, et il a encore fait appel à moi, comme un idiot. Mais pas récemment, j’ai dû faire quelque chose de mal. » A moins que ce ne soit Coppola qui se soit un temps égaré, mais c’est là une autre histoire. Qu’à cela ne tienne. James Caan a trouvé, pour sa part, quelques emplois mémorables à la Misery, et a même tourné avec la crème du nouveau cinéma américain, du Wes Anderson de Bottle Rocket au James Gray de The Yards. Ce qui n’est pas si mal, on en conviendra…
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