Authentique génie du burlesque, Harold Lloyd incarna mieux que quiconque son époque, les fantastiques années 20. Retour sur son ouvre, irrésistible, DVD et exposition à l’appui.

S’il fut, aux côtés de Charlie Chaplin et Buster Keaton, l’un des trois purs génies du burlesque, Harold Lloyd n’eut droit, pendant longtemps, qu’à une photo pour toute postérité. Mais quelle photo: il suffisait d’avoir vu cet homme, suspendu à la grande aiguille d’une horloge, dans une position aussi inconfortable que vertigineuse, pour éprouver le grand frisson. Et pour cause: Lloyd fut en effet le roi incontesté de la comédie casse-cou dont Safety Last, le film dont est extraite cette image, reste la plus exemplaire réussite.

Injustement resté dans l’ombre de ses deux illustres contemporains, Lloyd bénéficie d’un juste regain d’intérêt. Si certaines de ses irrésistibles comédies – il en a tourné plus de 200, tous formats confondus – sont toujours projetées dans les Cinémathèques, le Harold Lloyd Estate a, pour sa part, procédé à la restauration d’une partie de son £uvre, désormais disponible en DVD – de quoi en garantir une diffusion à grande échelle. Une £uvre qui fait par ailleurs l’objet, à l’occasion, de séances événementielles. Ainsi, tout récemment, à Gand où le festival accueillait, en marge de l’exposition qui lui est consacrée ( lire l’encadré), Sue Lloyd, petite-fille du maître et responsable de son héritage filmique. L’occasion d’évoquer, en sa compagnie, le parcours, mais aussi l’héritage laissé par son aïeul.

Harold, c’est vous

 » Harold a débuté comme figurant chez Universal, et savait comment jouer devant une caméra, c’est par là qu’il a commencé. Il a alors rencontré Hal Roach, et ils sont sortis dans la rue avec leur caméra. » Nous sommes alors au milieu des années 10, et l’histoire du cinéma reste à écrire. Outre son complice Hal Roach, Lloyd s’assure le concours d’une solide équipe de gagmen. Il tarde pourtant à trouver sa personnalité. Son Lone-some Luke n’est qu’une pâle copie de Chaplin, défroque qu’il abandonne en 1917 pour composer un personnage qui lui soit propre. Et devenir Monsieur Tout-le-Monde, anonyme au point d’être désigné par « Lui » en version française, mais arborant néanmoins deux accessoires reflétant sa singularité: un canotier et des lunettes à montures d’écaille.  » Sa conception de la comédie, c’était de prendre une vraie personne – vous -, et d’en faire un personnage de comédie. Ce qui, avec le temps, est d’ailleurs devenu le moule aussi bien de Cary Grant dans Bringing Up Baby de Howard Hawks, dans les années 30, que de Tom Hanks ou Ben Stiller, de nos jours. »

Au clochard de Chaplin et à la poésie de Keaton, Lloyd répond donc par une banalité assumée, celle d’un jeune homme ordinaire, sympathique et ambitieux, inscrit dans son époque, à qui il arrive des choses extraordinaires, quoique bien réelles – il veillera d’ailleurs à réaliser ses cascades lui-même, bien que privé de deux doigts par un accident. Un jeune homme dont les actes répondent souvent à une même motivation: séduire l’élue de son c£ur.

Peaufinée dans d’innombrables courts, la formule explose littéralement dans les longs métrages des années 20. Le cocktail de frissons et de rires généré par Lloyd, assorti à sa philosophie positive fait merveille, Harold enchaînant les réussites artistiques et les succès commerciaux une décennie durant.

Difficile, du reste, de comprendre comment cette immense star, doublée d’un professionnel avisé (il fut, par exemple, l’un des précurseurs des previews, adaptant ses films au besoin), put tomber à ce point dans l’oubli.

Pas pour tout l’or du monde

Sue Lloyd avance une explication:  » Mon grand-père avait conservé les droits de tous ses films. Quand la télévision est apparue dans les années 50, et que tout le monde a commencé à lui vendre ses films, il s’y est refusé. Il croyait au potentiel de la télévision, mais refusait de voir ses films coupés par la publicité. Pourquoi s’être donné tant de mal à parfaitement étudier le rythme d’un film pour qu’il soit ensuite charcuté?, disait-il. Il avait cette arrogance de refuser que ses films soient interrompus par un spot pour une poudre à lessiver ou une marque de voiture. Et il disposait aussi de l’aisance matérielle lui permettant de dire que, même pour tout l’or du monde, il refuserait que l’on touche à ses films, préférant qu’on les voie dans une salle de cinéma. »

Souci légitime, mais qui aura donc coûté à Harold Lloyd plusieurs générations de spectateurs. Même si, dans le courant des années 60, il se mit à circuler dans les salles de cinéma avec des compilations montées par ses soins.

L’impression qui prévaut aujourd’hui face à son cinéma est celle d’une formidable drôlerie, assortie d’une profonde modernité. Voir un film de Harold Lloyd, c’est comme assister, au-delà de gags dont l’efficacité ne s’est jamais démentie, à la construction de l’Amérique, tant l’artiste était en prise sur son temps; témoin privilégié de ces fantastiques années 20, dont il saura traduire au mieux l’effervescence en même temps que l’optimisme.

Si l’essor du parlant contri-buera à son déclin – encore que Lloyd ait parfaitement pris la mesure de l’impact de la nouvelle technique, s’empressant de transformer Welcome Danger, un muet, en talkie, un immense succès commercial à la clé -, la crise de 1929 allait aussi mettre fin à cette alchimie entre un auteur et son époque. Harold Lloyd tournera encore quelques films – et non des moindres -, avant de déserter les plateaux de cinéma en 1947, et de connaître une retraite fort active – comme photographe, notamment.

Et s’il fallait lui désigner un héritier dans le cinéma d’aujourd’hui?  » J’aimais beaucoup Jack Lemmon, sourit Sue Lloyd . Et aujourd’hui, je choisirais Tom Hanks. Comme producteur, réalisateur et star, et par son regard sur l’industrie, il en est certainement le plus proche. On ressent en outre chez lui cette même empathie que chez Harold… »

Texte Jean-François Pluijgers

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