Les fifties aimaient les blousons noirs. Les sixties se laissent pousser les cheveux et mettent le monde en couleurs. Les communautés hippies fleurissent, célèbrent la liberté du corps et de l’esprit.

Considéré par l’historien de l’anarchisme Ronald Creagh comme la dernière résurgence spectaculaire du socialisme utopique, le mouvement hippie naît au tout début des années 60 dans une époque troublée pour les Etats-Unis. Une époque où les manifestations contre la guerre du Vietnam se multiplient. Une époque où les émeutes noires font rage dans les grandes villes du pays. Des événements qui ont le don de rassembler la jeunesse. Comme la plupart des tribus dont nous vous parlons cet été, les hippies s’inscrivent dans la contestation et le refus de l’ordre établi. Ils rejettent les valeurs traditionnelles, s’élèvent contre le mode de vie de papa et maman ( » Ne faites pas confiance à quelqu’un de plus de 30 ans« ), cherchent à fuir la société de consommation et adaptent des valeurs écologistes et égalitaires issues des philosophies primitives et orientales. Tant qu’on y est, ils refusent aussi la soumission aux médias et le diktat artistique en place.

Déjà en rupture avec la société de masse, les écrivains de la Beat Generation comme Allen Ginsberg, Jack Kerouac (bien qu’il se désintéressa du courant) et William Burroughs avec leur vie à la cool rythmée par le sexe, la musique et la route font quelque part figure de précurseurs.

S’il vient lui aussi du vocable africain « hip » (« ouvrir les yeux » en wolof), le terme hippy est d’abord une insulte qu’utilisent les hipsters, ces mecs branchés amateurs de bebop dans les années 40. Pour eux, un hippy, c’est un mec qui essaye d’être dans le coup sans jamais y arriver.

Les hippies sont en majeure partie les enfants du baby boom qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Pendant celle du Vietnam, ils sont des centaines de milliers à revêtir l’uniforme de la contestation. En opposition à l’armée, ils portent le cheveu long et les couleurs vives. Séduits par les philosophies orientales, leurs maîtres à penser comme Ginsberg ou George Harrison les amènent à s’habiller de vêtements indiens. Saris, bracelets, manteaux afghans…

A partir de 1965, le quartier d’Haight-Ashbury devient l’épicentre du mouvement. La construction d’une ville libre et gratuite au sein de San Francisco, qui se nourrirait des déchets de son hôte et distribuerait librement les moyens de survie, met en évidence la réalité de l’abondance matérielle et la possibilité d’un nouveau monde fondé sur le principe du don.

Les hippies opposent à la société de consommation des communautés de vie restreintes vivant en marge de l’économie officielle. En gros, le mouvement hippie se présente comme l’antithèse de la culture dominante à tous les niveaux. Il oppose la passion, le libre jeu des pulsions et le dérèglement des sens à la rationalité. Prône l’expérience et la pratique plutôt que la science. Préfère les savoir-faire artisanaux et traditionnels à la technologie moderne…

 » Si vous allez à San Francisco, vous les verrez des fleurs dans les cheveux. Tous les hippies de San Francisco. Plein d’amour brûlant dans leurs yeux. Vous y verrez des gens que j’aime bien. » Même Johnny Hallyday, qui avait chanté Cheveux longs, idées courtes, a eu sa période flower power, peace and love.

Psychédélisme et acid tests

La musique représente un élément capital et fédérateur de la culture hippie. C’est d’ailleurs de son temps que naissent les grands rassemblements musicaux tels qu’on les connaît aujourd’hui. Dès 1967, le Monterey Pop séduit quelque 50 000 festivaliers. Ils seront 10 fois plus nombreux 2 ans plus tard à Woodstock.

Les hippies aiment le folk de Dylan, de Joan Baez, de Crosby, Stills & Nash. Ils se passionnent pour le rock psyché de Janis Joplin, du Jefferson Airplane et du Grateful Dead. A l’époque, en Californie, les groupes d’acid rock pilulent, euh pardon, pullulent. La drogue fait partie intégrante du mode de vie et de la musique hippie. Si, au début, il n’y a que la marijuana, le LSD offre rapidement une autre destination. Celle des hallucinations visuelles, auditives et tactiles. Le LSD a été découvert en 1943 dans un laboratoire suisse et il restera légal jusqu’en 1966. Du moins en Californie.

L’esthétique psychédélique est intimement liée aux visions qu’il provoque. Le psychologue Timothy Leary, alors conférencier à Harvard, le chimiste Owsley Stanley et le romancier Ken Kesey (auteur du best-seller Vol au-dessus d’un nid de coucou) sont les premiers à encourager sa consommation. Leur but? Moins la recherche d’un état amorphe qu’une volonté d’ouverture d’esprit et d’abolition des frontières mentales. Leary prône la révolution psyché au LSD et Kesey, qui a été recruté par des chercheurs de l’Université de Stanford pour tester ses effets dans le cadre d’un programme légal de recherche gouvernementale, organise chez lui les premiers acid tests. En y participant, le Grateful Dead deviendra cobaye d’une des plus étranges expériences qu’un groupe de musiciens ait jamais connue.  » Pour monter vraiment, il faut être capable de s’oublier, déclarera Jerry Garcia au Rolling Stones quelques années plus tard. Et s’oublier, c’est voir tout le reste. Et voir tout le reste, c’est devenir un atome conscient de l’univers.  »

Moment de décadence pour les uns, période de tous les possibles pour les autres… Le mouvement hippie incarne aussi la liberté sexuelle. La lutte pour la légalisation de la pilule contraceptive et le droit à l’avortement. Un combat qu’il n’est pas le seul à mener mais qui va évidemment à l’encontre de l’idéologie conservatrice américaine. Pour les hippies, la liberté du corps doit accompagner celle de l’esprit.

Vivant en communauté, parfois dans des maisons aux chambres sans porte, les hippies rompent avec les stéréotypes du couple traditionnel exclusif. La norme voulant qu’un homme et une femme n’aient des rapports que mariés est renversée. C’est l’ère de l’amour libre qui se répandra encore davantage après le Summer of love. Lorsqu’en 1967, 100 000 jeunes venus des 4 coins du monde se rassemblent du côté de San Francisco et Berkeley pour se livrer à une version populaire de l’expérience. Pour les hippies, les autres, ce sont les straight. Les politiquement corrects.

Dans les années 70, la fin de la guerre du Vietnam, l’arrivée du heavy metal, du disco et puis du punk feront des hippies une espèce en voie de disparition. A l’époque, les jeunes idéalistes qui rêvaient de régénérer le vieux monde arrivent tout doucement sur la trentaine. Ils ont trouvé un travail, se sont intégrés dans la société de consommation et rêvent de fonder un foyer quand ils ne l’ont pas déjà fait. Pour beaucoup, ils se sont embourgeoisés.

ça se sent dans la pub, les magasins de vêtements (voir la tendance hippie chic) et dans l’art en général. Les hippies sont revenus sur le devant de la scène depuis quelques années maintenant. En musique, Devendra Banhart, CocoRosie et toute la clique freak folk ont renoué au début des années 2000 avec le psychédélisme, l’idéologie peace and love et les fringues babas cool. Un hippie sommeille aussi en MGMT, Bat for lashes, The Do, Animal Collective (on en passe et pas que des meilleurs). Même des jeunes punks comme Harlem intitulent leur album Hippies.  » C’est comme ça que les gens nous qualifiaient parce qu’on leur semblait bizarres. Nous, ça nous va. Je les aime bien moi les hippies. Ils semblent traverser le monde sans se soucier de l’avenir. Sinon, je ne sais pas trop. Ma mère était une hippie. Je l’aime bien forcément. C’est ma mère. » l

la semaine prochaine: LES PUNKS

Texte Julien Broquet

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