Enceinte au moment du tournage du Refuge, l’épatante actrice a vu vie réelle et fiction se croiser d’originale manière devant la caméra d’Ozon.

François Ozon vous compare à un Stradivarius…

Ouh-là! Je suis très flattée, venant d’un réalisateur qui a la capacité d’écoute qui est la sienne. Il peut entendre et comprendre des choses qui ne vont pas forcément dans son sens. Il est assez ouvert et intelligent pour ça. Il écoute les acteurs et aussi les gens qui l’entourent. Il n’a pas autour de lui une « cour » qui ne lui dit que ce qu’il veut entendre. Au contraire! C’est bien plus rare qu’on ne le pense. La liberté de parole qu’il vous offre fait que vous êtes aussi en état de plus recevoir de sa part.

Vous n’ignoriez pas, au départ, que le fait que vous soyez réellement enceinte avait été pour lui un élément crucial dans la décision de faire le film avec vous?

Oui, mais je n’avais pas envie de lui demander trop de comptes quant aux raisons de ce choix. Je ne voulais pas trop entrer dans son intimité. Je sentais bien qu’il y avait pour lui une nécessité de faire le film. Quand il m’a exposé l’histoire, j’ai trouvé ça beau. Il était très sûr de ce qu’il voulait dire, même si quand nous nous sommes rencontrés il n’avait que 3 pages de scénario. Il tenait beaucoup à cette histoire d’une femme qui est à la fois en deuil et en train de donner la vie. J’ai trouvé ce point de départ unique, très émouvant.

La manière dont le personnage de Mousse vit sa grossesse est sans nul doute éloignée de la vôtre…

( rire) Très différente, oui. Le grand écart. Mais pour moi, c’était plutôt rassurant. Ce qui m’aurait fragilisée, c’est qu’il y ait trop de points communs, de points de contact. J’aurais peut-être eu alors du mal à faire la différence…

C’aurait été plus intrusif, aussi…

Exactement! Certes il y a cet aspect que François appelle « documentaire ». Parce que c’est mon corps, parce que c’est mon état d’esprit à ce moment-là, parce qu’il est forcément modifié. Mais il y avait aussi le fait que c’est un personnage qui est loin de moi. Mousse est bien plus rock’n’roll que moi, plus frustre dans sa façon de se représenter au monde. Elle a un aspect beaucoup plus fermé, elle est en déni de grossesse. Bref, à plus d’un égard aux antipodes de ce que je peux être. Heureusement, car faire un documentaire sur moi enceinte sur la plage ne m’aurait pas du tout intéressée (rire)! J’ai eu l’impression de tout simplement faire mon métier, comme les trois quarts des femmes qui travaillent jusqu’au huitième mois et demi. Cette idée de pouvoir faire ce que font la plupart des autres femmes… à l’exception des comédiennes, me plaisait énormément.

Vous avez demandé et obtenu que le tournage ait lieu là où vous comptiez de toute façon séjourner durant l’été. Dans ce cadre choisi par vous, et avec un tournage « à la sauvage », en équipe légère et mené rapidement, le travail a-t-il été pour vous très différent de vos expériences habituelles? Et vous voir maintenant dans le film vous apporte-t-il plus de surprises que d’ordinaire?

Vous savez, déjà de manière générale je ne contrôle pas ce que mon jeu va produire dans le film achevé. Je me souviens par exemple très précisément d’un moment dans Anna M (la scène de l’internement) où j’ai été totalement surprise en me voyant à l’écran (1). J’avais joué le personnage avec un sentiment intérieur très fort, et l’expression de ce sentiment sur mon visage. Du moins je le croyais. Et puis non, pas du tout! C’était extrêmement troublant de voir mon visage comme presque déformé, à des lieues de ce que j’avais imaginé…

La manière particulière dont a été réalisé Le Refuge n’a pas été en décalage avec votre goût réputé de la précision?

Bien sûr nous n’étions pas dans cette exigence de précision comme en ont, par exemple, des réalisateurs comme Zabou Breitman ou Jean-Michel Ribes, qui sont très détaillés dans leur direction d’acteur, presque jusqu’à l’intonation parfois. Mais même quand je suis beaucoup moins libre que je ne l’étais sur le tournage d’Ozon, je ne me sens jamais enfermée. Certains comédiens se sentent coincés dès qu’ils ont le sentiment qu’on leur donne trop à manger, qu’on leur donne la becquée. Ils ont le sentiment qu’on ne leur fait pas confiance, qu’ils n’ont plus la place pour apporter quelque chose eux-mêmes. Moi, j’ai cette chance de ne pas ressentir cela, de ne jamais me sentir instrumentalisée, d’être une marionnette parce qu’on me dit de me mettre comme ça et pas autrement. Ça ne me dérange pas du tout. Ce qui compte pour moi, c’est que le metteur en scène ait le sentiment qu’on joue sa musique. Etre un instrument me va très bien. Je me sens à ma place. Le mot servir n’a pour moi aucun sens péjoratif.

(1) Dans ce film de Michel Spinoza, sorti en 2007,

Isabelle Carré interprète une jeune femme persuadée jusqu’à l’obsession qu’un docteur (Gilbert Melki) est amoureux d’elle.

Rencontre Louis Danvers

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