Libéré, Antony, toujours flanqué de ses Johnsons, chante en islandais avec Björk et accompagne Swanlights, son nouvel album, d’un livre d’illustrations. Magique.

On aurait dû le rencontrer à Paris mais comme une grève de la SNCF en a voulu autrement, c’est au téléphone, d’Espagne, que le charmant et doux Antony Hegarty nous parle de son nouveau disque, de son enfance, de théâtre expérimental et de Björk.

Vous avez commencé à travailler sur Swanlights ( lire la critique page 35) quand vous enregistriez The Crying Light. Qu’est-ce qui distingue ces 2 albums?

The Crying Light est austère, réduit à son essence. Il suit un fil rouge. Swanlights se veut plus expansif, éclaté, volatile. Il est plus extrême aussi dans les émotions qu’il dégage. C’est quelque part le reflet de ce que j’ai vécu ces 4 dernières années. Le livre d’illustrations qui l’accompagne fournit visuellement et conceptuellement le paysage de cet album. Mon travail visuel est l’£uvre d’un artiste relativement naïf. Je ne m’inquiète pas trop à la fin de la journée de savoir où je me situe dans la hiérarchie des beaux-arts. Mais il constituait le meilleur moyen d’exprimer ce que je ressentais. Après la sortie d’ I am a bird now (2004), j’avais besoin de trouver un espace rien qu’à moi. Un endroit où je pourrais explorer de manière créative sans intention à l’esprit. Je ne voyais pas la musique endosser cette tâche. Chanter était devenu pour moi un dialogue avec le monde. J’avais besoin d’un univers plus intime.

Vous entretenez un rapport particulier avec votre corps. C’est aussi le cas avec votre voix?

Quand j’étais gosse, on me disait souvent que je ne chantais pas très bien mais je le faisais toujours avec beaucoup d’enthousiasme. Ce que je cherchais avec le chant, c’était une plate-forme pour exprimer ce que je ressentais. Quand j’ai vu des gens dans la culture populaire, et plus précisément dans la pop music, exprimer non pas seulement leurs sentiments mais aussi un sens très personnel de l’identité, j’ai voulu m’en inspirer. Dans ma communauté, dans notre société, il y a très peu d’endroits où les enfants peuvent partager ce qu’ils ont sur le c£ur. Je veux dire de manière physique. Au mieux on les écoute parler dans un moniteur. Mais on ne les laisse pas pleurer. On n’encourage jamais les enfants à pleurer leur désespoir et on ne veut certainement pas être témoins de la scène. C’est pourtant ce que représente l’acte de chanter. Dans notre société, on permet à quelques personnes cet acte lacrymal et les autres les regardent. Ailleurs, tout le monde participe. Tout le monde chante. Tout le monde danse. Tout le monde pleure. C’est une question de contexte. De contexte et de génération.

Vous collaborez à nouveau avec Björk sur ce nouvel album. Pourquoi vous fascine-t-elle?

Björk est une légende. Une warrior. Une des plus grandes artistes de notre génération. C’est toujours intimidant de rencontrer quelqu’un que tu admires à ce point. Et en même temps, j’étais très excité à l’idée de voir comment elle fonctionnait artistiquement. Regarder comment agissent les autres m’aide à me comporter et naviguer dans ma propre vie. Björk n’a peur de rien. Elle ne fait rien dans la réserve. Que ce soit en enregistrant ou sur scène, elle donne toujours tout ce qu’elle a. Le moindre muscle de son corps est inscrit dans ce processus du don. Moi, je retiens. Björk a une approche plus physique, olympique de l’expression. Ça l’aide à exprimer la joie, la jubilation de la vie. Et ce sentiment presque extatique. Ma musique et mon timbre, naturellement, mènent davantage à la mélancolie. Travailler avec elle a constitué un vrai challenge et m’a libéré. Jusqu’à cet album, j’avais toujours essayé de rester mesuré. Avec Swanlights, je me suis autorisé à exprimer l’absence d’espoir mais aussi la joie que peut procurer la vie. Parce que c’est ce que j’ai ressenti ces quelques dernières années. Et que si je l’ai ressenti, beaucoup d’autres en ont fait l’expérience aussi.

Vous avez connu des débuts artistiques hardcore avec les Blacklips, troupe de drag queens qui proposaient un théâtre très expérimental, et aujourd’hui vous incarnez une musique si classe et distinguée. Qu’est-il arrivé?

Je ne différencie pas les choses comme ça. La vie est un parcours. Je chante d’ailleurs encore des morceaux de l’époque. Mais je m’habillais davantage. J’étais plus jeune. Donc un peu plus beau. J’avais plus de confiance en moi. Visuellement, j’étais aussi plus agressif j’imagine. J’avais sans doute quelque part la fierté de la jeunesse. Je ne pense pas que j’ai vraiment changé dans mes investigations artistiques. J’ai toujours traité du même type de thèmes. Trouver des moyens de comprendre, de découvrir qui j’étais et où je me situais. Et puis comment avancer. L’espoir est une préoccupation importante dans tout mon travail. Sur scène, avec les Blacklips, nous étions 15. Ce n’était pas juste moi. J’étais plus le fondateur et l’administrateur de ce groupe qu’autre chose. J’aimerais bien consacrer un film à cette période de ma vie.

Entretien Julien Broquet

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