LE RÉALISATEUR DE FRENCH CONNECTION, THE EXORCIST ET AUTRE KILLER JOE SIGNE DES MÉMOIRES À SA DÉMESURE. GÉANT…

Friedkin Connection

DE WILLIAM FRIEDKIN, ÉDITIONS DE LA MARTINIÈRE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR FLORENT LOULENDO, 640 PAGES.

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« Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende… » Empruntée à The Man Who Shot Liberty Valance de John Ford, la citation ne manque pas de résonner à la lecture de Friedkin Connection, les mémoires de William Friedkin, réalisateur de divers classiques, au premier rang desquels French Connection et The Exorcist. L’homme s’est, au fil des ans, forgé une réputation de tête brûlée sinon de fou furieux; une impression que ne vient nullement démentir un ouvrage qui, remontant de son enfance chicagoane jusqu’à ses nombreuses vies de cinéma, se multiplie en anecdotes plus ahurissantes les unes que les autres, tout en arpentant les obsessions d’un cinéaste hors-normes.

Le prologue suffit, du reste, à poser le personnage: Friedkin y raconte comment il balança à la poubelle les oeuvres de jeunesse que lui avait envoyées Basquiat au début des années 80, une démo de Prince lui demandant de tourner une vidéo prenant bientôt le même chemin. La suite est du même tonneau, et compose le portrait saisissant d’un réalisateur ayant fait ses armes à la télévision, avant d’entamer une carrière cinématographique qui allait en faire l’un des maîtres de Hollywood au début des années 70. Plus dure serait la chute, toutefois, dont atteste un parcours pour le moins chaotique. Friedkin n’est pas, pour autant, du genre à se lamenter. Et son récit est porté par cette énergie fiévreuse qui embrase ses meilleurs films, qu’il assortit d’une lucidité et d’un humour qu’il a volontiers assassin, fût-ce à ses dépens. Ainsi, lorsqu’il écrit, dans le bien-nommé chapitre Hubris, « En l’espace d’un an, grisé par le succès et une vision disproportionnée de mon talent, j’avais été incapable de prendre la mesure à la fois du génie de Lucas et de celui de Spielberg. »

Echouer mieux

Qu’à cela ne tienne, porté par un perfectionnisme maladif -le genre à appeler personnellement chaque jour pendant six mois les projectionnistes des 26 salles présentant à l’origine The Exorcist, afin de s’assurer de la conformité des conditions de projection- et un jusqu’au-boutisme forcené, Friedkin a composé une oeuvre fascinante, cernant comme peu d’autres l’ambivalence de la nature humaine, question d’accointances personnelles. On ne s’émouvra donc point de la part éventuelle de mythomanie entrant dans ses mémoires. En plus du cinéaste fulgurant que l’on sait, William Friedkin s’y révèle un conteur hors-pair, et cette autobiographie se dévore avec la même gourmandise qu’un polar du James Ellroy de la grande époque. Un bouquin génial, que l’auteur, grand seigneur, ponctue par une tirade n’appartenant qu’à lui: « Je n’ai pas fait mon Citizen Kane, mais il me reste du travail à faire (…) Il est possible que j’échoue encore. Peut-être que la prochaine fois j’échouerai mieux. »

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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