CAMÉRA D’OR À CANNES, PARTY GIRL EST L’UN DES FILMS PHARES DE LA RENTRÉE, VENU TÉMOIGNER, AUX CÔTÉS DES COMBATTANTS NOTAMMENT, DE LA VITALITÉ DU JEUNE CINÉMA FRANÇAIS. RENCONTRE AVEC SON TRIO DE RÉALISATEURS.

On en était encore à jauger la programmation de la 67e édition du Festival de Cannes que, déjà, un vent de fraîcheur balayait la Croisette. Présenté en ouverture de Un Certain Regard, Party Girl (lire la critique page 31) devait aussitôt faire le buzz: ce n’est pas tous les jours, en effet, que l’on découvre un premier film à ce point maîtrisé autant qu’original -qualités qui allaient en faire une Caméra d’Or toute désignée. Derrière le portrait d’Angélique, entraîneuse de cabaret ayant la surprise d’être demandée en mariage à 60 ans bien frappés, un trio de (jeunes) réalisateurs -soit, dans l’ordre alphabétique, Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis.

Issus de la Fémis (département scénario pour les un(e)s, montage pour l’autre), ces trois-là ont rapidement eu des projets en commun, collaborant, à des postes divers, sur des courts métrages. Aussi, parlent-ils à l’unisson, leurs trois voix semblant n’en plus faire qu’une, lorsqu’on les retrouve dans le brouhaha cannois. « Il nous arrive de travailler ensemble, mais pas systématiquement, raconte Claire Burger. Mais chaque fois que c’est le cas, nous optons pour une configuration différente. Pour ce film, nous avons toutefois tenu à être égaux en toutes choses: c’était notre premier long métrage à tous les trois, et nous étions à ce point investis dans le projet qu’il aurait été impossible que l’un d’entre nous n’exprime pas son point de vue à l’un ou l’autre sujet. Nous avons pris toutes les décisions ensemble, à toutes les étapes du film, peu importe le temps qu’il en coûtait. Party Girl nous appartient vraiment à tous les trois. » Et tant pis, ou plutôt tant mieux, si le tournage n’a pas toujours été un long fleuve tranquille: « Ce qui a dû être perturbant, tant pour l’équipe que pour les acteurs, c’est que nous sommes tous les trois des control freaks, embraie Marie Amachoukeli. Mais en même temps, nous veillons à imaginer des situations où tout puisse exploser à tout moment. »

Un personnage de film

Cette volonté de se libérer d’un cadre formaté, on la retrouve jusque dans la nature même du film, qui se révèle tout à la fois portrait au féminin, drame social ou comédie romantique, parmi d’autres choses, puisqu’il y a là aussi une fiction documentaire inspirée de l’histoire de la famille de Samuel Theis, le troisième larron. Ce qui vaut bien une explication. « Cela s’est fait par étapes, explique Claire Burger. Forbach, le court métrage que nous avions réalisé à trois en 2008, tournait déjà autour de la famille de Samuel. Angéliquey était formidable, nous étions convaincus de son potentiel d’actrice. Quand Samuel a voulu reprendre cette histoire dans la perspective d’un long métrage, c’est presque naturellement qu’il nous a proposés de nous y atteler ensemble, eu égard à notre expérience commune. » « L’histoire est basée sur des faits s’étant produits il y a quelques années, poursuit l’intéressé, lorsque ma mère, qui approchait de la soixantaine, m’a appelé un jour de juillet pour me dire: « Ecoute, il faut que tu viennes, je me marie en septembre. » Quand je suis arrivé, il m’a semblé évident qu’elle n’était pas amoureuse de cet homme. Mais en même temps, j’ai commencé à réfléchir aux perspectives qui s’offraient à une femme ayant passé toute sa vie dans le monde de la nuit, et à ses chances d’en sortir une fois trop vieille pour encore y travailler. Il y avait là un formidable point de départ pour un film. »

Une fois Angélique convaincue du bien-fondé de l’aventure –« elle a opposé une certaine résistance au début, parce qu’elle ne savait pas jusqu’où on voulait aller »-, restait à trouver la distance adéquate pour relater son histoire. « C’était délicat, poursuit Samuel Theis, parce que s’il y avait beaucoup d’éléments biographiques, nous étions résolus à ne pas tourner un documentaire. Nous avons dû tout tirer vers la fiction. » « Nous avons dû inventer des scènes et un arc narratif, pour découvrir un personnage de film à partir d’Angélique, renchérit Marie Amachoukeli. Le plus difficile a été de créer une fiction sans trahir ce qu’ils sont dans la vie, elle et ses proches. » Ecueil surmonté avec brio, tant il émane de chaque plan de Party Girl un profond sentiment de vérité, porté par des acteurs évoluant au naturel. Les questionne-t-on « cuisine », que les réalisateurs expliquent encore avoir veillé à ne pas brider les comédiens (des non-professionnels, pour la plupart) par des dialogues préécrits, tout en restant ouverts aux accidents: « Il fallait que les acteurs se sentent libres, et l’équipe devait s’adapter. » Question de justesse, encore, celle du regard n’étant certes pas accessoire.

Partant, cette Party Girl n’a certes pas fini de nous en montrer, dont l’histoire, inscrite dans un horizon peu visité par le cinéma, convoque des émotions aussi diverses qu’intenses. « Une part essentielle du projet consistait à montrer un territoire, des visages et une musicalité que l’on ne voit guère dans le cinéma français », relève encore Marie Amachoukeli. « Forbach est notre ville d’origine à Samuel et moi, ajoute Claire Burger, et comme tout cinéaste débutant, nous avons voulu parler de choses personnelles, et que nous connaissons vraiment. C’est une région que l’on ne voit guère au cinéma: ses paysages ne sont pas attrayants, et elle est sinistrée économiquement. Nous tenions à parler des gens qui ont perdu leur boulot et restent là-bas, et nous voulions qu’ils parlent d’eux-mêmes, plutôt que de demander à des acteurs de jouer leurs rôles. (…) Parler de quelque chose de très particulier et d’unique est aussi la meilleure façon de tendre à l’universel. On ne peut pas tricher avec les sentiments: on sait que c’est vrai, et qu’on n’est pas dans la construction… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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