IN THE MOOD FOR EMILY

LE CINÉASTE TERENCE DAVIES AIME ET COMPREND INTIMEMENT LA POÉTESSEEMILY DICKINSON, DONT IL CÉLÈBRE LA MÉMOIRE DANS A QUIET PASSION.

Les cheveux ont blanchi, la silhouette s’est quelque peu enrobée, mais Terence Davies présente toujours cette fascinante combinaison d’une voix douce, presque chuchotée, et d’une manière de parler pleine de force contenue, d’émotion intense qui affleure entre discrète véhémence (quand la passion saisit son discours) et sobre sensualité (quand l’exaltation s’exprime, elle aussi retenue au bord des lèvres). Converser avec le cinéaste désormais septuagénaire est toujours, comme dans les années 80 où il se révéla, une affaire intime. D’autant qu’on le sent proche de cette Emily Dickinson qui occupe le coeur battant de son nouveau film A Quiet Passion (voir notre critique en page 40). La grande poétesse américaine du XIXe siècle, à laquelle il consacre ce biopic admirable, il lui semble la connaître bien, pour partager certains traits de son caractère et aussi un vécu où la famille joue un rôle central et où la morale imposée, le dogme religieux, font l’objet d’une révolte…

« J’ai découvert sa poésie à l’âge de 18 ans, se souvient Davies, en voyant un documentaire à la télévision. Les poèmes étaient lus par Claire Bloom (1). Immédiatement, j’ai ressenti un besoin irrépressible de me procurer ses poèmes et de les lire tous. Depuis, je n’y pensais plus trop, quand voici six ou sept ans, je me suis remis à lire Emily, cette fois en désirant connaître plus de choses à son propos. J’ai lu six biographies, contenant parfois des affirmations insensées comme le fait qu’elle aurait été lesbienne, ou épileptique… Elle était très particulière, c’est certain, son oeuvre est avant-gardiste, d’une puissance extraordinaire!  »

Le réalisateur reconnaît chez Dickinson « un attachement passionné à la famille, elle aurait voulu que celle-ci reste à jamais unie, pareille à son enfance… Exactement comme moi je l’avais désiré du fond du coeur entre sept et onze ans. J’étais tellement heureux durant ces années-là, j’aurais voulu qu’elles durent pour toujours!  » Un autre élément d’identification pour Davies fut à quel point « Emily était une personne spirituelle sans être religieuse. Elle s’interrogeait: « Si nous avons une âme et qu’il n’y a pas de dieu, alors que faisons-nous? » Mais elle n’a jamais désespéré. Elle avait la force de mener sa quête spirituelle sans la religion. Moi-même j’ai été un catholique dévot jusqu’à l’âge de 22 ans. J’avais des doutes depuis mes quinze ans, et la découverte de mon homosexualité. J’ai combattu ces doutes, j’ai prié tant que j’ai pu. Mais un jour, en pleine messe, j’ai compris que tout ça n’était qu’un mensonge et j’ai rejeté la religion. Bien sûr, cela laisse un grand vide en vous quand vous faites cela… Comme je pouvais comprendre Emily!  »

Sincérité

Certes, Terence Davies ne partage pas la situation d’Emily Dickinson, dont une poignée de poèmes seulement furent publiés de son vivant. Mais sa reconnaissance cinéphile reste relativement modeste, comme l’ampleur du public qui va voir ses films. Et les reproches de sentimentalité adressés en son temps à la poétesse le visent encore parfois aujourd’hui… « Je ne suis pas dans la sentimentalité, commente le réalisateur anglais, dans l’émotion préfabriquée. C’est facile, de faire pleurer les gens. C’est autrement difficile de les toucher profondément, de les remuer intérieurement. Toute la différence est là. » La clé, affirme Davies, réside « dans la sincérité, dans la vérité, et dans une rigueur absolue qu’avait Emily et que je m’efforce de maintenir moi aussi. Elle avait une sorte de détachement qui la mettait à l’abri de toute sentimentalité. Dans mes films, je cherche toujours la juste distance qui m’en écarte moi aussi. C’est quelque chose que vous devez ressentir, qui ne résulte pas d’un concept. Je demande aux acteurs de ne pas jouer, mais de ressentir. Loin de toute idée de performance, de maniérisme. Ce sont les plus petites choses que capte la caméra et qui permettent par exemple de mettre quelque légèreté dans l’évocation du plus grand chagrin, de retenir l’émotion tant et plus qu’elle atteint plus fort le spectateur à la fin… » Ne pas négliger l’humour, non plus, qui prend toute sa place dans le pourtant très mélancolique A Quiet Passion. « Emily aimait faire de la pâtisserie, jouer du piano, danser. Il fallait que je la montre comme une personne enjouée, une rebelle qui usait des mots, de l’arme qu’est l’humour, pour défier l’hypocrisie!  »

(1) ACTRICE BRITANNIQUE NÉE EN 1931 ET QUI FUT L’ÉPOUSE DE SON COLLÈGUE ROD STEIGER PUIS DE L’ÉCRIVAIN PHILIP ROTH. ON LA VIT NOTAMMENT FACE À CHAPLIN DANS LIMELIGHT ET EN HÔTE DE LA MAISON DE LA TERREUR DE THE HAUNTING.

RENCONTRE Louis Danvers

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