Images en lutte

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Depuis le début de l’année, le Mima axe sa programmation autour de l’indispensable désobéissance civile. Get Up, Stand Up! réactive 400 affiches qui ont contribué à transformer le monde.

 » Tout ce qui dérange, appelle, menace et finalement questionne sans attendre de réponse, sans se poser dans une certitude, jamais nous ne l’enfermerons dans un livre qui, même ouvert, tend à la clôture, forme raffinée de la répression. » C’est en 1968 que Maurice Blanchot consigne cette phrase dans Tracts, affiches, bulletins, un texte qui restitue toute la puissance et l’énergie de l’écriture murale. L’auteur de Le Livre à venir fait partie de ces penseurs qui ne sont pas passés à côté de cette  » hâte de la rue » que l’on célèbre désormais en grande pompe. Qu’est-ce qui, 50 ans plus tard, subsiste de la courbe parfaite des pavés lancés à la face de l’ordre établi? L’alternative est simple: il faut choisir entre sa marchandisation -les t-shirts du Che ou les mugs Karl Marx- et son devenir patrimoine. En exposant la collection privée de Michaël Lellouche -plus de 400 affiches et objets-, le MIMA a clairement opté pour la seconde solution. Faut-il craindre pour autant une « esthétique de la révolution », autrement dit son anesthésie totale, voire sa mise hors circuit définitive? Nullement, le foisonnement des images déployées sur quatre niveaux en témoigne avec fièvre. Nombreuses sont les questions urgentes d’alors dont l’onde de choc résonne encore aujourd’hui. La sève circule toujours et qui s’y frotte… s’y brûle. Comme le dit Raphaël Cruyt, qui a opéré comme directeur artistique de l’événement:  » Cette exposition doit se comprendre comme une incitation, l’idée c’est de donner envie de descendre dans la rue. »

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Des jalons temporels ont été posés à l’accrochage: les tracts et autres brûlots rassemblés ont tous été produits entre 1968 et 1973. Le tout en provenance de 30 pays différents, de Paris à Prague, d’Athènes à Berkeley, en passant par l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Palestine… Leur force? Une incroyable lisibilité, un caractère collectif et le fait d’être traversées par une urgence inouïe car à l’époque,  » l’affiche est le seul moyen pour informer« .  » La révolution est derrière nous« , écrit Blanchot en décembre 1968. Il poursuit:  » Mais ce qui est devant nous, et qui sera terrible, n’a pas encore de nom. » Un demi-siècle plus tard, ce terrible ne serait-il pas devenu notre pain quotidien? À tout moment la rue peut aussi dire: « non. »

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L’image du poing traverse l’iconographie de la révolte. Le collectionneur Michaël Lellouche en identifie l’origine:  » Le grand chef sioux Sitting Bull a déclaré « Séparés comme les doigts, nous pouvons facilement être brisés, mais ensemble nous formons un poing puissant » . Au début du XXe siècle, le poing fermé incarne cette force du collectif, associée aux syndicats et aux luttes ouvrières. Dès 1936, il devient salut de résistance chez les républicains espagnols. En 1965 à Berkeley, l’artiste et activiste Frank Cieciorka exécute l’estampe (ci-contre, unique exception aux jalons temporels de l’expo) d’un poing dont il tire des badges qu’il se met à distribuer. Les organisations de la Nouvelle gauche s’en emparent et le poing devient rapidement le symbole universel des contestataires. »

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Il s’agit de l’une des affiches les plus célèbres et les plus prisées de Mai 68. Elle évoque un système d’expression verrouillé. Au début des événements, aucun média ne rendait compte de ce qui se passait… dans la rue. Inspirée de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, elle aborde aussi la question de l’engagement au féminin.

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 » L’affiche That’s All Folks! parodie le générique de fin des dessins animés Looney Tunes. Porky Pig semble nous annoncer avec sa naïveté naturelle que c’est la fin des temps, sans doute parce que nous nous sommes comportés trop longtemps comme des cochons avec la planète« , résume le collectionneur.

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 » Le 7 septembre 1968 à Atlantic City, à quelques heures de l’élection de Miss America, une centaine de militantes des New York Radical Women brandissent cette affiche qui stigmatise une vision de la femme rendue au rang de viande par un concours qui n’est qu’une « foire aux bestiaux » », précise Lellouche.

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En 1969, le graphiste Robert Brownjohn signe cette affiche contre la guerre au Vietnam. Il utilise un as (ace) de pique orné d’une Terre pour former le mot peace (« paix »). Les soldats américains jettent précisément des as de pique sur les cadavres des Vietcongs afin d’effrayer les superstitieux qui redoutent cette carte maudite », explique Lellouche.

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Lellouche commente:  » Emory Douglas, jeune étudiant en art de San Francisco, rejoint le Black Panther Party en 1967. Il en devient immédiatement l’artiste attitré. Nommé ministre de la Culture, il signe la plupart des affiches ainsi que les illustrations de l’hebdomadaire officiel The Black Panther. Son style simple et percutant contribuera à forger l’image des Black Panthers.« 

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Et la Belgique dans cette histoire de la contestation? En 1968, à Liège, Philippe Gibon et Dacos créent L’Atelier Populaire qui ne se croise pas les bras. Cette affiche qui y voit le jour dénonce le coupable aveuglement du tourisme de masse, au départ de la Belgique, dans un pays muselé par Franco.

Get Up, Stand Up!: Mima, 39-41 quai du Hainaut, à 1080 Bruxelles. Jusqu’au 30/09. www.mimamuseum.eu

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