OBSÉDÉ PAR LE CINÉMA DE GENRE, GOICHI SUDA REVIENT À SES PREMIÈRES AMOURS AVEC KILLER IS DEAD. CE JEU DE COMBATAU STYLE ÉPOUSTOUFLANT SE DOPE DE DUELS SOUS ACIDE. LA CLAQUE DE LA RENTRÉE.

Goichi Suda est un cas à part dans le monde du gaming nippon. Fan de séries Z et plus généralement de tout ce que la pop culture US compte de décadent, ce créateur japonais aligne depuis plus de sept ans les beat them all dont l’irrévérence et la trash attitude contaminent l’esthétique et le fond. Après avoir travaillé avec James Gun sur Lollipop Chainsaw l’année passée, l’auteur punk délaisse le réalisateur de L’Armée des Morts et de Tromeo et Juliet pour bosser en solo sur Killer is Dead. Exit la Barbie à tronçonneuse de la précédente production. Cette fois, le patron de Grasshopper Manufacture brosse les errances de Mondo Zappa, tueur à gages travaillant à l’ancienne. Au sabre.

Egalement flanqué d’un bras robotique surmonté d’un canon, ce playboy filiforme a oublié l’origine de sa chair meurtrie. Cette protubérance pimente toutefois les missions d’assassinat que lui propose Bryan, patron cybernétique de la Bryan Execution Firm. Plongés dans un futur fantasmagorique entre la lune et la terre, ces contrats éclairciront un peu l’amnésie de l’assassin qui tranchera des monstres transformistes et des psychopathes improbables. Un univers lynchéen qui se tapisse d’incohérences jubilatoires, comme un tableau de Dali animé en temps réel.

Visuellement, Killer is Dead ne ressemble d’ailleurs à aucune production actuelle, ni passée. Seul le Killer7 du même auteur tisse un lien graphique avec le slasher futuriste. « Sept ans se sont écoulés depuis la sortie de ce jeu sur Play-Station 2. J’ai voulu créer une version moderne de Killer7, pas seulement graphique mais technique aussi, en essayant de renouveler les combats rapprochés et à l’épée grâce à un nouveau moteur graphique », lance tout sourire le bouillonnant Goichi Suda. « J’adore les arts contemporains et le surréalisme. Je ne comprends d’ailleurs pas ce besoin d’ultra-réalisme visuel des jeux vidéo de notre époque. Notre medium a 40 ans, il est grand temps qu’on abandonne cette approche pour laisser la place aux sentiments. »

Oublié donc l’hyper-réalisme visuel d’un Call of Duty. A l’échelle du jeu vidéo actuel, l’expérience plastique d’Activision ressemble d’ailleurs au néoclassicisme psychorigide d’un David ou d’un Ingres. Goichi Suda préfère de loin peindre un univers impressionniste. Une toile tapissée d’aplats de couleurs dont la polarité semble inversée par un peintre sous acide. Des gerbes de sang époustouflantes éclaboussent un sol en crystal polymorphe. Le festin graphique en cell shading se crible en outre d’instants fugaces où tout le décor vire au noir, blanc et rouge. Le MadWorld d’Atsuhi Inaba (le père de la saga des Ace Attorney) se rappelle furtivement au bon souvenir des joueurs.

Sueur et tremblements

Manette en mains, Killer is Dead se résume à un canevas très simple. Comme sur Killer7 et No More Heroes, Goichi Suda y déclare son amour des boss à abattre après avoir nettoyé des niveaux peuplés de chimères. Se remplissant grâce au sang « aspiré » par les coups de lame de Mondo, la jauge d’Adrenaline Rushdoit constamment être surveillée. Celle-ci déclenche en effet descoups spéciaux indispensables pour achever un boss mais sert également à la guérison (limitée) du joueur et à l’activation de son bras-canon. A noter que ce dernier donne du relief aux combats en hack & slash qui se colorent d’une approche en third-person shooter (toute proportion gardée).

Auréolés d’un système d’esquive déclenchant -lorsqu’il est bien placé- un déluge de coups de sabres, les combats ne laissent donc aucun répit. On transpire à la fin de chaque joute d’autant qu’entre deux coups spéciaux exécutés via une combinaison savante de touches, les QTE guettent en embuscade. Intenses, ces face-à-face ont le mérite d’épaissir la narration de longs dialogues précédant ces duels. Le jeu sort ainsi de la console pour s’adresser directement au gamer avec une mise en abyme où David, deuxième boss fétichiste de l’aventure, répond à Mondo Zappa que « la baston vend du rêve aux joueurs » lorsque ce dernier demande -un peu lassé- s’il n’y pas d’alternative à leur duel. Comme un aveu de la lassitude de Suda face à la création de beat them all. « Il m’arrive en effet de douter, avoue-t-il. Mais dans ce cas précis, il s’agissait plus de dire que notre équipe était douée en matière de combats de boss. »

Se balader sur la lune et y visiter un château versaillais infesté de monstres. Découvrir une maison rose pâle tapissée de bonbons, traversée d’escaliers inversés et de perspectives impossibles. Conquérir le gratte-ciel labyrinthique d’un audiophile psychopathe qui a volé l’ouïe d’une jeune musicienne. Malgré un level design parfois répétitif, chaque niveau fascine. Une plongée unique dans une SF déglinguée. Impossible d’en revenir indemne.

KILLER IS DEAD, ÉDITÉ PAR DEEP SILVER ET DÉVELOPPÉ PAR GRASSHOPPER MANUFACTURE, ÂGE 18+, DISPONIBLE SUR PLAYSTATION 3 ET XBOX 360.

8

RENCONTRE Michi-Hiro Tamaï, À Cologne

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content