Frédéric Nicolay conçoit des bars, cafés, restos qui redessinent un nouveau Bruxelles, entre popu et bobo, canal et faux banal, jour et nuit. Du Belga à la Kasbah, une certaine façon de consommer la ville…

Carcasse épaisse se terminant par des mains énormes, Nicolay tutoie le mètre nonante et arbore une coiffure que n’aurait pas reniée Einstein. Ce Bruxellois de trente-neuf ans s’est forgé une réputation de designer-vedette de l’Horeca, ogre de lieux abandonnés reconvertis, créateur d’espaces à manger et à boire qui marchent fort. Missions: impossibles de préférence. Le Café Belga dont la large clientèle déborde sur la nouvelle Place Flagey, c’est lui, le Bonsoir Clara coloré de la branchouillée rue Dansaert , encore lui, tout comme le Vismet, LeBar du Matin, La Kasbah et une quinzaine d’autres lieux éparpillés des Halles St Géry à Forest. Tout un monde qui se retrouve dans l’esthétique de Nicolay, parfois simplement inspirée d’une modeste épicerie passée ( Le Delecta) ou alors flambante réminiscence de la grandeur art deco des radio days ( Le Café Belga, dans l’ancienne maison de la Radio). Pour l’instant, Nicolay reçoit au Café Modèle, son dernier bébé, juste en face du Walvis, une autre de ses créations. Le premier est non-fumeur, clair, invite à manger ou à boire en dilettante. Le second, bourré de nicotineurs à six heures du soir, sent déjà la nuit qui se prépare et le cocktail long comme une nuit sans sommeil. Ces deux établissements se trouvent au bord du canal, dans une zone voisine du Petit Château. Mélange de population maghrébine, de métrosexuels, de vieux belges, de nouveaux créatifs. Nicolay n’habite pas loin avec femme et (trois) enfants:  » J’ai ouvert cet endroit il y a deux mois, en grande partie parce qu’avec des amis, on possède la maison. Tout dans cet espace était pété, pourri, on en a fait quelque chose de convivial où l’on peut aussi venir prendre son café, le matin, en famille. » Les pochettes de vinyles y font office de double fresque murale colorée. Frédéric ne possède généralement pas les endroits qu’il relifte: il fait du clé sur porte. Investigue, conçoit, revend: ainsi pour son tube, le Café Belga, ouvert en juin 2002. L’endroit, qui occupe un rez de l’historique bâtiment de l’ex-INR en bordure des étangs d’Ixelles, n’est a priori qu’un local technique. La rénovation coûte 800 000 euros et s’inspire des éléments décoratifs de l’ancienne RTB (sans F). Boiseries de qualité, grand bar design, éclairages légers qui, au soir tombé, transforment le lieu en bar de noctambules marathoniens. Allô maman bobo?  » On ne contrôle pas la clientèle, hein! Quoi que tu fasses, cela commence souvent comme du branchouillé et c’est à tort que certaines personnes me présentent comme un gentryficateur parce que les endroits où sont installés certains de ces bars, Saint-Gilles, la place Flagey ou Forest, étaient boboisés avant que j’y arrive! ».

Solo intégral

Mais il vient d’où l’oiseau? Naissance en 1969 en Belgique dans un milieu qu’il qualifie de petit-bourgeois, puis déménagement au Congo/Zaïre entre 1972 et 1984. Il déteste,  » à cause des rapports entre blancs et noirs, on vivait complètement à part… ». Une autre blessure s’ouvre quand son père quitte la maison et poursuit sa vie d’homme fragile. Frédéric se retrouve en école hôtelière, qu’il  » n’aime pas trop parce que cuisinier est un métier de malade mental où tu ne rencontres personne ». Après quelques essais belges, il bosse une année et demie comme commis dans des établissements étoilés de Londres, New York et Florence. « On te traite comme un esclave (rires) et tu gagnes deux cents euros par mois. » De retour à Bruxelles, il fait la livraison de pain quotidien pour l’établissement du même nom et passe chef au Pain & Le Vin à Uccle. Las, la chaussée où se trouve le resto reste en travaux pendant des mois. Le bouillon tourne court, il s’esquive. Et crée Chez Marie en intégrale solo:  » Je faisais la cuisine, la salle, la plonge. Je pensais que j’allais y arriver ». Cela dure douze mois et nous sommes au mitan des années 90. Il picore des boulots pour Alain Coumont – créateur du Pain Quotidien – et repart en duo resto avec sa copine de l’époque en ouvrant Gala Cantina rue Antoine Dansaert. La rue décolle, le resto aussi, il le revend à un financier qui le rebaptise Bonsoir Clara. C’est le vrai départ commercial d’une carrière fructueuse où le bon sens rentabilise les audaces. Par exemple, celle de s’associer à une brasserie d’importance – Duvel Moortgat – et de relancer la Vedett.

Un mot revient souvent dans la conversation:  » L’épanouissement! J’ai 39 ans et je n’y suis pas encore… ». Epanouissement personnel, épanouissement de la ville. Face au canal, le verdict de Frédéric est sans appel.  » Oui, le quartier change mais très très lentement ». Nicolay esquisse l’une de ses expressions favorites: une moue boudeuse, tendance dégoût profond:  » Je ne comprends pas la ville de Bruxelles, il suffirait de planter des arbres, de refaire les trottoirs sans pour autant tout casser, de donner de l’espace et ce quartier comme Bruxelles d’ailleurs, ferait – enfin – rêver ». Le dernier joujou de Frédéric? Un de ces camions électriques qui distribuent le lait de l’autre côté de La Manche. Parce qu’il a le projet d’un lait à base de chocolat, le Bolbu, dont il réinvestirait les bénéfices dans du social… Tout est prêt:  » Je fais le truc avec ma femme, mais pour l’instant, c’est un peu en standby ». La voie lactée attendra, de toute façon, Frédéric Nicolay est déjà en orbite. l

Texte et photos Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content