POUR SON PREMIER FILM EN ANGLAIS, LANTHIMOS MET EN SCÈNE UNE ÉTRANGE DYSTOPIE EN FORME DE DICTATURE DES SENTIMENTS.

The Lobster

DE YORGOS LANTHIMOS. AVEC COLIN FARRELL, RACHEL WEISZ, LÉA SEYDOUX. 1 H 58. DIST: COMING SOON.

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Figure de proue de la nouvelle vague du cinéma grec, Yorgos Lanthimos signait l’an dernier avec The Lobster, prix du jury au festival de Cannes, un stimulant ovni cinématographique, « un film ne ressemblant à aucun autre », comme l’observe Rachel Weisz dans les (maigres) bonus de cette édition DVD. Soit le point d’orgue provisoire d’un parcours entamé en 2005 avec Kinetta, et qui, de Dogtooth en Alpis, allait imposer le cinéaste athénien comme l’une des voix les plus originales du cinéma contemporain, tenant d’une démarche radicale et corrosive propre à court-circuiter le prêt-à-penser.

D’une dictature l’autre

Ces qualités, on les retrouve au coeur de The Lobster, premier film en anglais et plus grosse production à ce jour d’un auteur n’y ayant en rien sacrifié sa singularité. Lanthimos et son scénariste attitré, Efthimis Filippou, y mettent en scène, dans un futur fort proche, une dystopie où le célibat est illégal. Et les coeurs solitaires et autres veufs ou veuves de se voir expédiés à l’Hôtel, institution de grand luxe où ils auront 45 jours pour trouver l’âme soeur, faute de quoi ils seront transformés dans l’animal de leur choix. C’est là qu’échoue un jour David (Colin Farrell), accompagné d’un chien qui n’est autre que son frère -lui, à titre personnel, a choisi de se réincarner en homard, d’où le titre du film. Impuissant à surmonter une rupture, il se voit bientôt soumis à un quotidien répétitif balisé de règles étranges, censées favoriser son retour à la norme imposée de la vie de couple, à supposer que l’amour puisse résulter d’une injonction ou autres accointances absurdes. Une perspective à laquelle il va vouloir se soustraire, rejoignant le maquis et les Solitaires, des résistants qui, sous la conduite d’une leader autoritaire (Léa Seydoux), refusent de se plier aux diktats de la dictature sentimentale, tout en appliquant des règles tout aussi rigides, les relations amoureuses étant proscrites…

The Lobster constitue une expérience de cinéma aussi étrange que fascinante. S’appuyant sur un concept fort et grinçant auquel il confère sa logique propre, Lanthimos adopte une construction en miroir pour disséquer les relations amoureuses à l’aune de nos sociétés normatives. Carburant à l’humour noir, et jouant avec brio des codes cinématographiques, il en résulte une fable cruelle et émouvante, réussissant, sous couvert d’absurdité et d’excentricité, à faire converger conscience politique et tentation de l’amour fou. Manière aussi pour ce film brillant de transcender son dispositif, au demeurant séduisant, pour trouver une résonance profonde. Intensément troublant, puissamment incarné par Colin Farrell et Rachel Weisz entre autres, il y a là un homard cuit à point, à déguster sans modération…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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