Tube, succès, hit ou scie, ils tournent en boucle sur le pick-up de nos pensées. Pourquoi? Comment? Réponses avec le philosophe Peter Szendy.

Ils entrent par une oreille et ne ressortent pas par l’autre… Les tubes se fixent sur le cerveau comme les limaces sur une feuille de salade. Qu’ont-ils de plus que les autres? Pourquoi ressassent-ils leur rengaine ad nauseum? Ces questions, le philosophe Peter Szendy en fait son miel dans un petit recueil de haut vol où il décode l’ADN de la scie (1). Parole, parole, parole à cet empêcheur de tourner les disques en rond.

Focus: quel est le secret de fabrication d’un tube? Et peut-on en produire à la chaîne comme le fit la Motown?

Peter Szendy: je dois avant tout éviter un malentendu: personne (moi moins qu’un autre) ne détient le secret pour faire un tube. Certes, il y a des sites, comme www.hitsongscience.com, qui prétendent fournir une réponse calculable à la question: « votre chanson est-elle un tube potentiel »? La légende de la Motown participe aussi de ce fantasme d’un capitalisme musicien: la compagnie de disques créée à Detroit, capitale de l’industrie automobile, tire son nom d’une contraction des mots Motor Town, comme si la production de tubes était analogue à celle des voitures. Ceci dit, si l’on écarte ce fantasme de la calculabilité, il est indéniable que les tubes sont aussi des marchandises. Et du reste, ils le « savent » eux-mêmes. Je pourrais en citer mille exemples, depuis Money des Pink Floyd (« l’argent c’est un tube », disent-ils) jusqu’au dernier né de Lily Allen, The Fear, dans lequel elle déclare: « je suis une arme de consommation massive ». Comme souvent, le « je », ici, désigne le tube lui-même.

Quels sont les critères pour parler de tube? Le nombre d’albums vendus? La nostalgie qu’il recèle?

Le critère statistique est tellement évident qu’il en devient inintéressant. Je préfère penser le tube depuis ce phénomène que l’on connaît tous: celui de l’obsession musicale. Qui ne s’est jamais réveillé un matin avec un air dans la tête, qui vous habite pendant des heures? Or, cet air n’est pas nécessairement un tube au sens statistique. Il peut n’être pas classé parmi les meilleures ventes, cela ne l’empêche pas de proliférer sur le marché intime de votre psyché, dans votre top 10 intérieur.

Comment expliquer que chaque époque produit ses hits?

J’aurais tendance à renverser les termes: c’est plutôt chaque tube qui porte en lui la possibilité d’incarner un temps. En ce sens, les tubes fonctionnent comme des hymnes intimes, comme une Marseillaise ou une Brabançonne de la psyché, commémorant des événements passés, conscients ou inconscients: un souvenir, un amour, un été…

Aimer les titres mainstream est-ce forcément une faute de goût?

C’est peut-être une faute à l’égard d’une conception très classique du goût compris comme ce qui distingue. Mais je militerais pour une pensée du goût qui assume son rapport essentiel au cliché. Il y a là une sorte d’enjeu écologique pour le goût: que fait-on de ces tubes que l’on considère trop facilement comme des produits usés? On pense pouvoir s’en débarrasser en les refoulant, mais ils ne sont pas si facilement « psychodégradables ».

Une Lily Allen, novice en musique, aligne tube sur tube. Pourquoi ça marche?

Comme je vous le disais, je ne crois pas qu’il y ait une recette. Mais ce qui est intéressant dans cette success story, c’est le rôle nouveau des réseaux comme MySpace. C’est en accumulant des « amis » par Internet que les « démos » de Lily Allen sont passées d’une quasi-clandestinité à une visibilité dans les médias traditionnels.

(1) Tubes. La philosophie dans le juke-box, de Peter Szendy, Les éditions de Minuit, 96 pages.

Entretien Laurent Raphaël

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