Roch et alcool forment un couple très amoureux qui, parfois, tourne mal.

Rock et alcool forment un couple très amoureux qui, parfois, tourne mal.

es beuveries de Jerry Lee Lewis aux frasques vomitives de Pete Doherty, le rock distille depuis un demi-siècle son alcoolémie dans des mouvements imbibés (le pub rock), des casiers entiers de chansons éthyliques et des histoires parfaitement delirium tremens. Une tournée générale demanderait un magazine entier, on se contentera donc de quelques récits Happy Hour.

Pub rock

Joe Strummer – au sein des 101’ers – en a fait partie, Elvis Costello l’a fréquenté, les Stranglers y sont passé et Dr Feelgood l’a pratiquement inventé au milieu des seventies alors que le rock basique est boudé par les salles de concerts monopolisées par le prog. Une solution: se réfugier dans des cafés à moquettes épaisses et papier peint violet, un large bar achevant le décor décadent de l’institution anglaise qu’est le pub. Mais le pub rock qui fleurit à partir de 1973-1974, n’est pas seulement un refuge pour le Tiers-Monde rock, il oblige les groupes à jouer court et efficace devant un public d’autant plus festif que la bière coule à flot. Du pub rock naîtra un circuit de lieux tels que le Hope And Anchor à Islington où la génération suivante, celle du punk rock, fera la répétition générale des crachats…

Alcohol, chanson-quintessence

Sur l’album Muswell Hillbillies (1971), dont la photo de pochette est d’ailleurs prise dans un pub, les Kinks chantent le loser absolu du drink. Métaphore de leur réputation de poivrots professionnels:  » Barley wine pink gin/He’ll drink anything/Port, pernod or tequila/Rum, scotch, vodka on the rocks/As long as all his troubles disappeared/But he messed up his life and he beat up his wife« . Depuis lors, Ray Davies est devenu solo et abstinent. Autres exemples de morceaux arrosés: Cigarettes & Alcohol (Oasis), Milk And Alcohol (Dr Feelgood), Alcohol (Barenaked Ladies), One Bourbon, One Scotch, One Beer (John Lee Hooker), Tequila Sunrise (The Eagles), I Can’t Stand Up For Falling Down (Elvis Costello), Suffocate (Green Day), The Perfect Drug (Nine Inch Nails), Crenshaw Punch (The Deftones), Tom Traubert’s Blues (Tom Waits), Too Much Alcohol (Rory Gallagher)…

Keith Richards & son ami Jack Daniels

C’est sa tétine de malt, son compagnon ambré, son inséparable faux frère jumeau. Le Stones en chef a fait plus pour la pub du fameux whisky du Tennessee à bouteille carrée, que des générations entières d’écrivains, peintres et cinéastes alcooliques. Doté d’un foie miraculeux, Richards est sans doute le musicien ayant le plus contribué à l’association de malfaisance rock/alcool. Keith et sa bouteille de Jack sur l’ampli guitare pendant le concert, Keith endormi sur une chaise, à côté de son litron de whisky, Keith en ITV à la BBC sirotant le poison magique. De la part d’un homme qui s’est vanté d’être resté éveillé neuf nuits d’affilée (…), c’est l’éternel rafraîchissement à 40°. Autres miraculés: Tom Waits, Pete Townshend, John Lydon, Nick Cave, Ryan Adams, Ozzy Osbourne, Ringo Starr. A son apogée alcoolique, le batteur des Beatles et sa femme partagent seize bouteilles de vin quotidiennes…

La tradition du rider

Sur le Net, on trouve des exemples de « rider », c’est-à-dire de programmes détaillés de toutes les conditions exigées par les groupes en tournée. Y compris une liste – précise – de boissons devant être placées dans les loges. Depuis le Dom Perignon d’Axl Rose jusqu’aux packs de bière de Motörhead, la trilogie gagnante s’appelle vodka/tequila/Bourbon. Sur leur rider de la tournée 1972, les Stones, prévoyants, demandaient également de l’Alka-Seltzer. Chez les repentis, Aerosmith exige un backstage « alcohol-free ». Le site, donne une passionnante lecture de centaines d’exemples de riders.

Nos chers compatriotes

Difficile d’aborder le sujet sans parler d’Arno et de sa bande. Lui, en personne, taquine son bar favori près de la Bourse, à un jet de son appartement, pratiquement à chaque soirée passée à Bruxelles. Sous des allures imbibées, l’Ostendais sait laisser reposer les gamma GT quand les gueules de bois s’additionnent. Il fut une époque plus sauvage début des années 90 lorsqu’Arno partage scènes de concerts et de bars avec Roland Van Campenhout au sein de Charles & les Lulus. Le guitariste flamand, grand ami du défunt Rory Gallagher, expliqua un jour comment, ivre mort en concert, il était tombé dans le public, entraînant ampli et instrument dans la chute éthylique.  » Depuis lors, je me suis un peu calmé » conclua-t-il, sobrement.

Le cas Keith Moon

Le fabuleux batteur hyperkinétique des Who meurt le 7 septembre 1978. Il a 32 ans et succombe à une overdose après l’absorption de 32 pilules d’Heminevrin, un sédatif destiné à combattre le syndrome du manque alcoolique. Moon buvait à l’américaine, c’est-à-dire toute la journée, depuis son lever vers midi jusqu’au lendemain matin… Jour après jour, mélangeant Brandy et bière à toutes les drogues de passage comme ce calmant pour éléphant qu’il ingurgite avant un concert à San Francisco fin 1973. Il s’écroule au milieu de Won’t Get Fooled Again et Townshend fait monter du public un batteur improvisé qui termine le set: rock’n’roll! (à voir Keith Moon passes out sur YouTube). Autres victimes: Bon Scott d’AC/DC (1946-1980), après une soirée trop arrosée, dans une voiture, John Bonham (1948-1980), étouffé dans son vomi pendant son sommeil après quarante shots de vodka, Rory Gallagher (1948-1995), suite aux complications d’une greffe du foie…

Le bar entre en scène

Frank Sinatra souffrait possiblement du syndrome de la sécheresse du désert, exigeant dans sa loge à chaque concert, une bouteille de cognac, une de Chivas, une autre de Jack Daniels, une quatrième de Gin et une dernière de Vodka… Et du vin, du meilleur. Histoire de ne pas oublier le son du glaçon au fond du verre, Frankie s’installe un bar en scène pour partager un drink entre amis du Rat Pack (Dean Martin, Sammy Davis Jr) tout en chantant. Pas de raison que seuls les spectateurs de Vegas puissent picoler. Ce que devaient aussi se dire The Faces, le groupe seventies’n’roll de Rod Stewart et Ron Wood, avant que ceux-ci ne deviennent, respectivement, diva crooner et guitariste en second des Stones. Wood aura mis plus de trente ans à rentrer en désintoxication: c’était à l’été 2008. Keith Richards doit désormais boire seul. On ne mesure pas encore l’ampleur du drame.

Texte Philippe Cornet

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