LE 11E FESTIVAL DU FILM DE MARRAKECH S’EST ACHEVÉ IL Y A QUELQUES JOURS. AU PROGRAMME, UN FOCUS SUR LE CINÉMA MAROCAIN, ET DES REGARDS CROISÉS SUR LE PRINTEMPS ARABE.

Décembre 2010. Pour sa 10e édition, le festival de Marrakech a mis les petits plats dans les grands. Tout ce que le cinéma français compte d’étoiles, de Marion Cotillard à Jean Dujardin, défile sur le tapis rouge du Palais des Congrès. A quoi l’on a ajouté quelques poids lourds américains -Francis Ford Coppola, James Caan ou Keanu Reeves, quand même!-, et d’autres encore, pour faire bonne mesure. Douze mois plus tard, la première impression va à une diminution sensible de la voilure. Certes, il y a du beau monde, et même du fort beau -Jessica Chastain ou Leïla Hatami, l’actrice de Une séparation, comptent parmi le jury présidé par Emir Kusturica, tandis que Roschdy Zem, Forest Whitaker ou Terry Gilliam sont attendus pour autant d’hommages-, mais pas cette succession ininterrompue de stars a même de renvoyer le plus blasé des festivaliers à son âme de midinette. Encore qu’en la matière, tout soit relatif: la présence de Shah Rukh Khan, et les dizaines de milliers de fans fervents que rameutera l’acteur bollywoodien sur la place Jemaa El Fna, seront là pour rappeler utilement à l’observateur ébahi que l’on peut être un parfait inconnu en Occident et superstar de l’Orient au Maghreb. Différence de contexte dont on aura une autre illustration, plus cocasse celle-là, quelques jours plus tard lorsque le public, venu en masse célébrer le comédien marocain Mohamed Bastaoui, désertera la Salle des Ministres sur ses talons, la projection de My Back Page, du Japonais Nobuhiro Yamashita, débutant devant des rangs clairsemés.

S’agissant des films, justement (et alors que la compétition devait couronner Out of Bounds, de la Danoise Frederikke Aspöck), il y aura beaucoup été question des 20 ans et de ce que l’on en fait. Une interrogation envisagée dans le contexte des troubles estudiantins au Japon à la fin des années 60 dans le film susnommé comme dans celui de la découverte de pétrole dans la péninsule arabique à la faveur d’ Or noir, le film d’aventures épique de Jean-Jacques Annaud. Et déclinée massivement au féminin pluriel, que ce soit dans la pâleur de l’Ukraine post Tchernobyl pour Land of Oblivion, de Michale Boganim, ou dans la noirceur d’un bidonville italien, horizon dépressif du remarquable Seven Acts of Mercy, de Gianluca et Massimiliano De Serio; et jusque dans plusieurs des films qui composaient un panorama bienvenu de la production marocaine.

Présenté en ouverture du Festival, L’Amante du Rif, de Narjiss Nejjar (une coproduction belge), en aura été le premier portrait de femme. Soit Aya, une jeune fille d’un village de montagne au tempérament passionné, émule de Carmen dont le combat pour la liberté se heurtera à des mécanismes machistes comme à un tissu de traditions ancestrales. Pour apparaître quelque peu naïf à certains égards, le film n’en aborde pas moins frontalement la question de la place de la femme dans la société marocaine; une société qui n’a pas attendu le printemps arabe pour entamer sa mutation, explique la réalisatrice. « Il y a une exception marocaine. Les révolutions arabes sont une expression fondamentale, aujourd’hui, de l’exercice de la citoyenneté. Un peuple qui ne sait pas dire non est un peuple assisté. Un peuple qui dit non est un peuple qui grandit, et qui devient mature et adulte. C’est un processus normal. Mais si je parle d’exception marocaine, c’est parce que nous n’avons pas attendu qu’il y ait une révolution pour commencer les petites révolutions. Nous sommes un pays où la liberté d’expression se met en place doucement, avec des ratés et des loupés, mais avec un élan et une dynamique qui poussent vers l’ouverture. »

La fureur de vivre

Cette évolution, Sur la planche de Leïla Kelani en prend la mesure sensible. Et là encore à travers le portrait d’une jeune femme, Badia, Tangéroise qui mène sa vie comme elle l’entend, en ne voulant rendre de comptes à personne qu’à elle-même. Il y a de la Rosetta chez elle, portée par une énergie viscérale, et l’urgence de ses 20 ans -on a pu, à bon droit, parler de la Fureur de vivre en version marocaine et universelle au sujet du film. « Si Badia échappe aux stéréotypes et incarne les mutations que traverse le Maroc, elle pourrait aussi être hongkongaise, mexicaine, bolivienne, indonésienne, tradeuse à la Défense ou workaholic à Wall Street, souligne Leïla Kelani. Mais la chose qui m’a le plus émue, c’est l’identification assez passionnée des adolescents au film. Ce n’est pas tant un film arabe que celui d’une adolescence. » Qu’il sorte dans le contexte marocain du moment n’est toutefois pas anodin: « Bien sûr, mais je l’ai tourné avant, et écrit à partir de 2002. C’est un film qui part de ce qui moi, m’anime, c’est-à-dire une nécessité impérieuse de raconter des histoires de l’intérieur, et de produire mes propres images. L’Orient éternel, et tous ces clichés, sont dépassés. Ce qui s’est passé, l’hiver dernier, c’est juste en fait que l’Occident a pris acte de quelque chose, un mouvement de fond qui date d’une décennie. (…) Nous avons enfin un miroir dans lequel nous reconnaître qui vient casser cette atemporalité complètement caduque. » Et un avenir dont les Aya et autre Badia sont désormais les dépositaires: « Elles sont drôles, subversives, malines, réalistes, et dans la nécessité impérieuse de trouver des solutions pour exister dans une communauté », souligne Leïla Kelani, énonçant des qualités qui pourraient aussi être, pour partie, celles du cinéma marocain; en prise sur un contexte où, suivant son expression, il faudra aussi « reformuler l’exercice politique. La construction de la cité, au sens grec, c’est maintenant qu’elle est en train de se faire… »

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À MARRAKECH

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