LaChapelle Sixtine – Le photographe David LaChapelle nous envoie une carte postale depuis l’enfer. Un enfer d’autant plus troublant qu’il se fait passer pour le paradis…

De David LaChapelle, Taschen, 320 pages.

Paris Hilton nue et ficelée comme un paquet, Alicia Keys en princesse des Mille et une nuits debout à côté d’un piano rose bonbon en feu, Outkast faisant irruption dans une chambre garnie de blacks sculpturales la croupe à l’air… Pas de doute, on est bien chez David LaChapelle, le champion du monde de la photo acidulée. Il a fait du trop-plein sa marque de fabrique. Trop-plein de couleurs flashy, de symboles, de maquillage, de stars, de sexe, de lumière, de corps bronzés, de muscles, de sourires au botox… Chacune de ses images dégouline de crème fraîche comme un gâteau trop riche. C’est kitsch, c’est too much, c’est rococo. Un sémiologue y perdrait son latin…

Et pourtant, malgré l’épaisse couche de gélatine et les litres de colorants synthétiques, ces photos-cathédrales dégagent une singulière authenticité. Par quel miracle? Sous le vernis du strass et des paillettes, du stupre et de la débauche, David LaChapelle étrille en réalité au lance-flammes la mascarade des apparences et le règne des fausses icônes. Simplement, là où certains privilégient soit la métaphore, soit l’ironie, soit un réalisme certifié sans additifs, lui dissimule son propos dans un emballage satiné et criard comme pour mieux souligner l’indécence de ce qu’il contient. Un goût pour le mélange des genres et la superposition jusqu’à l’overdose des signes distinctifs de la culture de masse qui en font l’héritier en chef de la culture pop.

Troisième volet d’une trilogie dégoupillée en 1996 avec LaChapelle Land, Heaven to Hell brasse l’ensemble des thèmes chers à cet artificier du bon goût. Pas de véritable fil rouge, si ce n’est une réflexion tous azimuts et plutôt gratinée sur les dérives de la société de consommation. Et plus particulièrement son penchant à l’idolâtrie. Rien d’étonnant dès lors à voir défiler dans ces pages sulfureuses les plus beaux éclats de la boule à facettes médiatique, de Naomi Campbell à Courtney Love en passant par Angelina Jolie, David Bowie ou Jay-Z. Des Olympiens comme les appellent les sociologues qui ne sortent pas indemnes de l’aventure. Et qui payent de leur personne comme quand Sarah Jessica Parker joue les exhibis au milieu d’une rame de métro bondée.

Traitement de choc

LaChapelle les expédie dans le monde saturé de clichés et de contradictions de nos fantasmes. Du coup, passé le premier effet euphorisant, aguicheur, c’est le malaise qui prend le dessus. L’obscénité, l’étalage de chair, l’absence de morale, le téléscopage des valeurs, le règne de l’artifice prennent à la gorge comme une fumée âcre.

Plutôt du genre démonstratif, LaChapelle convoque la grosse artillerie des mythes qui ont nourri en même temps que gangréné une société assoiffée de transcendance. Il les projette sur sa pellicule après les avoir lourdement fardés pour mieux brouiller les pistes. Scarface et Taxi Driver ont ainsi droit à des remakes glam. La théâtralité n’est qu’un leurre, un tour de passe-passe pour montrer que les célébrités sont elles aussi les jouets du destin. Le kitsch agit ici comme un révélateur chimique qui met à nu les rouages du système. La nausée comme traitement de choc en somme…

Laurent Raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content