A en croire la légende, l’histoire commença lorsque Howard Hawks décréta, le plus naturellement du monde, du côté de Eden Rock: « Je vais construire une pyramide ». Et pas n’importe laquelle, encore bien: la pyramide des pyramides, celle de Chéops. Nous sommes en 1953, et la Fox venant de connaître un succès considérable avec The Robe d’Henry Koster, les studios hollywoodiens se mettent, dans un touchant ensemble, à penser péplums bibliques et autres fresques antiques – tous films seyant parfaitement au cinémascope, procédé cinématographique « total ». Michael Curtiz, Delmer Daves ou Douglas Sirk comptent ainsi parmi les réalisateurs s’appliquant dès lors à revisiter l’histoire, à grand renfort de spectacle. Howard Hawks, qui sort de Gentlemen Prefer Blondes, a, pour sa part, envie de se frotter au nouveau format. A défaut, expliquera-t-il plus tard aux Cahiers du Cinéma, d’un film sur la construction d’un aéroport en Chine pendant la guerre, il se rabat donc sur celle d’une pyramide. Le cinéaste saura trouver les arguments pour embarquer Jack Warner dans son aventure égyptienne. Suivront la préparation et le tournage, épiques, de The Land of the Pharaohs, merveilleusement relatés par Noël Howard, le réalisateur de la seconde équipe, dans un livre irrésistible: Hollywood sur Nil (Ed. Ramsay).

Comment ça marche, le boulot?

Disposant de moyens confortables – estimés à 5 ou 6 millions de dollars – et bénéficiant de l’entière confiance de Warner (dont il préviendra l’impatience en tournant d’emblée des scènes spectaculaires – « trois ou quatre mille figurants dans les carrières. Il faut que ça grouille sur l’écran, comme une fourmilière. Quand ils verront ça à la Warner, nous aurons la paix pendant quelques semaines »), Hawks sait aussi s’encadrer. Ainsi du décorateur Alexandre Trauner, partenaire de Carné qui a également travaillé sur le Othello de Welles. Ou encore de 3 scénaristes, au rang desquels Harry Kurnitz, qui vient d’obtenir le Pulitzer, et William Faulkner, l’ami du cinéaste dont il a scénarisé plusieurs films, de The Road to Glory à The Big Sleep. Fameux attelage, encore qu’à en croire Noël Howard, la contribution de Faulkner se soit limitée à cet extrait: « Les travaux de la pyramide durent depuis quinze ans: le pharaon se rend sur les lieux, appelle un contremaître: LE PHARAON. – Alors…, comment ça marche le boulot?… » Ce que ne démentira que mollement Hawks, qui déclara avoir engagé le romancier pour avoir quelqu’un avec qui prendre le thé… La légende déborde sans doute là quelque peu sur les faits. Voilà néanmoins qui traduit l’atmosphère peu banale du tournage une fois l’équipe installée au Caire. Même si l’on reste surpris que Hawks, modèle de rigueur, ait accepté tant de désinvolture. Encore avait-il d’autres chats à fouetter, attelé qu’il était, quand il ne cherchait pas l’inspiration sur un court de golf, à bâtir son grand £uvre, avec ce que cela suppose comme problèmes, logistiques et autres – histoire aussi d’en remontrer à Cecil B. de Mille, qui préparait alors ses Ten Commandements.

Rien, dès lors, ne paraîtrait trop beau à cet impas-sible sphinx hollywoodien débarqué en terre africaine, qu’il s’agisse de mobiliser quelques garnisons de l’armée égyptienne pour faire de la figuration, ou de dépêcher une excavation à Zaouiet el Aryan. Voire, évidemment, de faire construire sa pyramide sur la nécropole de Sakkarah. Autant d’épisodes mouvementés, arrondis de quantité de mémorables anecdotes – ainsi lorsque, afin de faire répéter en rythme les milliers de figurants devant tirer les pierres comme un seul homme, on leur intima de scander, en ch£ur, « Fuck Warner Brothers ». Quelques mois plus tard, l’affaire était bouclée, non sans de multiples excentricités, licences avec l’authenticité présumée des faits, et autres détours inattendus. Land of the Pharaohs, où l’on retrouvait encore Joan Collins (future héroïne de Dynasty) en princesse félonne, fut le premier échec commercial de Hawks, qui ne recourra plus jamais au scope, pas plus d’ailleurs qu’il ne remettra le couvert d’un film historique. Ce péplum hollywoodien mérite cependant mieux que l’oubli relatif dans lequel il est tombé. Epopée monumentale basculant dans le drame cruel, le film fascine, pour culminer dans un final particulièrement astucieux. Et se révéler, en définitive, éminemment hawksien en dépit des apparences…

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