Après avoir dominé le rap du début des années 2000, Eminem effectue aujourd’hui son grand retour avec Relapse. Provoc’, fulgurances autobiographiques, vannes lourdingues… Les ingrédients n’ont pas changé. Pour le même succès?

Grosse fatigue.

Avec Relapse, Eminem met fin à un silence discographique long de cinq ans. Dans le même temps, entre 1999 et 2004, il avait eu le temps de sortir quatre albums, enchaîner quelques belles controverses et devenir une des principales icônes pop des années 2000. Ses atouts: un débit verbal unique, une écriture nihiliste, quelques vannes potaches et surtout un sens du récit dont, règne de la téléréalité oblige, il se sert pour mettre en scène ses propres déboires. Ou régler ses comptes, notamment avec sa propre mère ou celle de sa fille.

Trop de succès, trop vite? En 2005, épuisé et complètement accro aux pilules, Eminem annule sa tournée européenne, et parle de se retirer un moment pour ne plus s’occuper que de production. Un an plus tard, la mort de son pote DeShaun Dupree Holton, alias Proof, assassiné de trois balles après une dispute dans un club de Detroit, finit de le plonger dans une lourde déprime. Le syndrome Presley.

Fin des années 50, un Blanc remportait le pactole en jouant une musique de Noirs. Près d’un demi-siècle plus tard, on dira souvent qu’Eminem en a fait de même avec le rap. L’analogie ne s’arrêtera pas là. Quand apparaissent les premières photos d’un Eminem sinon obèse en tout cas bouffi, on ne s’en étonne presque pas. Comme le King avant lui, le rappeur est pris au piège d’une pharmacopée de plus en plus délirante.

La pochette de Relapse est explicite. Elle laisse apparaître le visage du rappeur composé d’un série de pilules. Sur le site de l’artiste, un lien renvoie également vers le site du Popsomp Hills Rehabilitation Center, un (faux) établissement de désintox. Récemment, dans le magazine Vibe, Eminem rapporte avoir avalé à un moment plus d’une vingtaine de pilules par jour, entre valium et Vicodin. Il explique également avoir frôlé l’overdose en ayant ingurgité une quantité de méthadone « équivalente à 4 sachets d’héroïne »

Allô, docteur?

Pour son retour aux affaires, Eminem a de nouveau confié les manettes à Dr Dre. Andre Young de son vrai nom est en effet responsable de la totalité de la production de Relapse. Pas de grande révolution à attendre donc. Et après tout, pourquoi changer une équipe qui jusque-là a tout gagné? Producteur phare de hip-hop des années 2000, Dr Dre accompagne son protégé depuis le premier carton de The Slim Shady LP. Fort de cette complicité, voire amitié, Dr Dre n’hésitera donc pas à interrompre l’enregistrement de son troisième album solo, Detox, pourtant déjà maintes fois repoussé, pour filer un coup de main au camarade Eminem.

Premiers échos.

Officiellement, Relapse, premier des deux CD annoncés pour cette année, a déjà fourni quatre singles. Crack A Bottle a directement battu un record: quelque 418 000 téléchargements légaux lors de la première semaine. Beat pépère, samples west coast, il voit Eminem rejoint par ses compères Dr Dre et 50 Cent. Même ambiance « back to the days » pour Old Time’s Sake, qui donne l’impression que rien n’a changé depuis 2001. C’est d’ailleurs peut-être bien le problème: on est bien en 2009 et sur We Made You, le tir aux pigeons d’Eminem (ses cibles du jour: Sarah Palin, Britney Spears…) tourne un peu à vide. Le changement de ton est radical avec 3 AM: Eminem cite le Silence des Agneaux et se transforme en serial killer, psychopathe trempant dans une baignoire de sang.

Retour gagnant?

Début des années 2000, Eminem occupait une place centrale dans la grande agitation pop mondiale. Aujourd’hui, le devant de la scène hip-hop est occupé par des extra-terrestres comme Lil Wayne ou des grandes gueules téméraires comme Kanye West. Même le « créneau » du rappeur blanc est revendiqué par des nouveaux venus, tels Roth Asher. Y a-t-il donc encore de la place pour Eminem? Apparu sur le Net 10 jours avant sa sortie, Relapse souffle le chaud et le froid, entre fanfaronnade vaine ( Same Song & Dance) et flow cintré ( Insane, dans lequel il évoque les abus de son beau-père). Curieusement, la mort de son compagnon d’armes Proof est peu évoquée, sinon pour servir de fausse excuse à sa descente aux enfers ( Déjà Vu). Car le sujet central de Relapse est bien celui-là: son addiction aux antidépresseurs (un héritage maternel, explique-t-il dans My Mom). Detroit, sa ville natale, a beau être groggy face à la crise et au naufrage de la GM, Eminem s’en fout. Il continue à faire de sa vie bousculée son principal thème de conversation. Et on a bien peur que c’est aussi là qu’il reste le plus brillant…

Eminem, Relapse, distribué par Universal.

Texte Laurent Hoebrechts

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