CONÇU PENDANT LA GROSSESSE DE SON PREMIER ENFANT, LE 4E ALBUM STUDIO DE LA BOURDONNANTE CHANTEUSE RÉSONNE DE 1000 SONS ENVOYÉS AU FUTUR FILS. MARIUS EST CONTENT, LE DISQUE S’APPELLE ILO VEYOU.

Juillet 2011, Camille au naturel dans un hôtel de Bruxelles. Son look de jeune avocate au barreau disperse les images de chanteuse extravertie découverte avec Le sac des filles en 2002. Fausse minimaliste, Camille n’a cessé d’explorer la voix comme une nouvelle grotte de Lascaux où les notes rupestres se trouveraient démultipliées à l’infini, le mystère toujours gavé d’incertitude sur ses origines. Son album de 2005, Sur le fil, se vendant à plus d’un demi-million d’exemplaires, intronise un style qui tient à la fois de Björk, pour l’audace sonique, et du Général de Gaulle, pour l’orgueil de vouloir remettre la France au centre du monde. Une quasi décennie après ses débuts pros, Camille Dalmais, née à Paris le 10 mars 1978, nous entretient d’un disque conçu autour de la naissance de son fils, Marius, en novembre 2010. Syndrôme connu de la double procréation où la grossesse génétique engendre parallèllement une autre venue, artistique celle-là. Le disque est réussi ( cf. encadré), souvent touchant dans ses mandibules tactiles ( Wet Boy) et son désir de joindre chanson et pop music sous le signe d’universelles sensations maternelles. Vu le thème commun à l’humanité et l’utilisation marquée de la langue anglaise sur la moitié des titres, Ilo Veyou devrait résonner internationalement.

Le titre de l’album, Ilo Veyou, c’est du corse?

Vous n’avez pas compris? Tout est dans l’agencement des mots et dans la prononciation: cela donne donc I love you ( sourire). Les chansons ont suivi un mode de fabrication -si on peut le dire ainsi- à la grossesse. Une sorte de simultanéité honorant la voix portée vers le foetus qui vibre à l’unisson. Il y a aussi le côté simplement pragmatique de la femme qui fait un métier de chanteuse et dont les cycles naturels se trouvent perturbés par la fécondité. La créativité est différente parce que la force de la nature et ses exigences nous dépassent, nous emportent. La créativité, c’est le doute, et il fallait que je trouve une certaine fluidité dans le processus musical. Sur ce disque, j’ai voulu laisser aller les choses: je n’avais pas l’énergie de douter même si je me suis posée beaucoup de questions. L’interprétation est venue comme cela, naturellement…

L’album semble plus apaisé, moins fourmillant qu’à l’habitude…

Cela m’énerve toujours quand on me dit  » Camille, calme-toi! » ( sourire), mais la grossesse est tellement prenante que l’énergie se calibre d’elle-même, elle se pose. Et donc, on est davantage absorbé par les moments de musique. Ceci dit, je suis contente de ne pas avoir eu de tournée en même temps que la grossesse, cela aurait été de trop…

Ilo Veyou est-il un concept-album?

J’adresse un message d’espérance et de lucidité sur la question de l’enfantement: quel est ce monde qui télescope la notion de civilisation et nous envoie vivre dans du béton? J’interroge le mélange de matières dans lequel on vit…

Votre musique, depuis les débuts, interroge justement la notion de « matière musicale » en sculptant des partitions originales, où la prise de son donne un cachet particulier aux chansons: comment « prenez-vous » le son?

Cet album combine plusieurs façons d’enregistrer mais j’ai beaucoup travaillé avec un ingé son de cinéma qui n’a pas peur d’y aller, de percher sans approche puriste. Pour Le berger, il a pris le son dans une salle de danse avec une forte réverbération. Sinon, j’ai aussi collaboré avec quelqu’un issu du classique et qui a l’habitude d’acoustiques particulières comme celles des chapelles: il est à l’affût du moindre détail, c’est pour cela que l’on entend le bruit des archets! Pour moi, le studio n’est pas une chambre stérile et les lieux sont des instruments. J’aime la présence du bois et des micros Telefunken ( sourire). Essayer fait partie du processus de création: Jimi Hendrix a mis sa guitare à l’envers et en a tiré des sons incroyables. J’ai une formation d’autodidacte, je suis allée à l’école des autodidactes ( rires).

Cet album dégraisse ce qui est parfois apparu comme étant les « tics vocaux de Camille », des gimmicks et autres bruits de bouche potentiellement agaçants: toujours une conséquence de la naissance?

Je suis assez iconoclaste. Pour moi, la tradition doit être ouverte -avec esprit- et métissée. Je refuse le carcan de la nationalité ou du langage. Oui, c’est vrai, j’essaie de construire quelque chose en déconstruisant la chanson française, de trouver la chanson de l’âme, comme Barbara pouvait le faire. C’est pour cela que j’aime aussi Jeff Buckley et Nusrat Fateh Ali Khan. Alors, j’essaie de ne pas être dans la gratuité mais dans l’exploration et parfois, c’est trop… riche. Je pourrais me contenter de moins d’informations, même si je ne considère pas le fait de me démultiplier comme un péché ( sourire). Sur ce disque, j’ai eu envie d’être UNE, même si j’ai créé une chorale d’enfants sur Shower, morceau chanté dans ma douche ( sourire).

Shower ramène aussi à l’enfance!

Cela débute comme un petit blues tout simple, un gosse ne veut pas prendre sa douche. Et puis, cela vire en psyché-cauchemardesque-inquiétant ( sic), un truc vertigineux. L’enfant ne peut pas sortir de sa vie et se démultiplie, il ne veut pas sortir de la douche et les enfants deviennent une menace, un monstre…

Une des marques de Camille, ce sont les handclaps…

L’enfance de l’art ( sourire) qui accompagne les premiers chants: l’essentiel est là-dedans, dans ce mélange rythme-voix, le reste symbolise le développement. Je suis un peu comme une actrice de la Nouvelle Vague, l’héroïne de mon propre film. J’aime l’idée que ma musique traverse les frontières même si le choix de la langue -français ou anglais- est d’abord un choix rythmique et non pas stratégique ou commercial. Au-delà du voyage, l’idée de transmission est importante. C’est une grande exigence parce qu’on ne sait jamais si l’on va être compris. l

u EN CONCERT LE 18/11 AU CIRQUE ROYAL, À BRUXELLES.

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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