Albums pharaoniques, concert de 27 heures, DJ set en avion… De Gonzales à N.A.S.A. en passant par David Guetta, l’industrie musicale se réinvente dans la surenchère, le projet incongru et le défi insensé..

En mai dernier, Gonzales s’attaquait au record du monde du plus long concert détenu par l’Indien Prasanna Gudi. Au terme d’un effort physique presque surhumain, Jason Charles Beck (son vrai nom) établissait au Ciné 13, à Paris, un nouveau temps de référence: 27 heures, 3 minutes et 44 secondes. La performance a certes été largement battue depuis (plus de 40 heures). Elle n’en a pas moins été relayée partout. Même en direct sur Internet.

Plus loin, plus haut, plus fort… La devise des Jeux Olympiques est un peu devenue celle de l’industrie musicale. Les temps sont flous. Les temps sont fous. Et chacun, à sa manière, tente de frapper un grand coup. Comme les athlètes, les musiciens ne cessent de repousser leurs limites. Qui jouera le plus fort? Le plus longtemps? Devant le plus de monde? Qui donnera le plus de concerts en un an? Se produira dans l’endroit le plus décalé? Se servira des instruments les plus bizarres?

David Guetta mixe dans un avion en route pour Ibiza. Les 49 Swimming Pools jouent au bord de votre piscine. Et d’autres vont se produire à Gaza… On en connaît même qui ne font de la musique qu’avec des jouets ou des appareils électroménagers. Pour ne pas se laisser noyer dans la masse, chacun tente à sa manière de se distinguer, de se singulariser. En attendant, sans dresser de procès d’intentions, les frontières entre l’art et la promotion se font de plus en plus floues. La musique et la quête de publicité se confondent. Car outre se faire plaisir, viser la marge, c’est faire parler de soi. Attiser la curiosité des médias.

Politiquement engagé, Mongrel, le supergroupe de John McLure (Reverend and the makers) réunissant des rappeurs, des membres de Babyshambles et autres Arctic Monkeys, a suscité l’intérêt de la presse anglaise en criant sur tous les toits qu’il allait enregistrer avec Hugo Chavez au Venezuela. Un peu plus glauque, Modest Mouse a récemment dévoilé le clip de King Rat que lui a réalisé Heath Ledger, l’acteur décédé l’an dernier suite à une intoxication provoquée par les effets conjugués de 6 médicaments.

Entendons-nous bien: l’originalité farfelue et l’ambition débordante n’ont a priori rien d’une tare. Ainsi, Sufjan Stevens s’est lancé dans une entreprise aussi folle que passionnante. Enregistrer un album par état américain. Raconter un peu plus de 200 ans d’histoire. Evoquant au passage les tueurs en série ( John Wayne Gacy Jr) et les super-héros ( Superman)… Le dingo n’ayant pour l’instant dressé que les portraits du Michigan et de l’Illinois, son entreprise pharaonique, apparemment en suspens, devrait le mener jusqu’à la retraite. Si pas jusque dans sa tombe.

Le leader des Flaming Lips Wayne Coyne est aussi un fameux farfelu. Ce grand et gentil cinglé, qui sortait en 1997 un coffret de 4 CD à écouter simultanément, a récemment tourné un film de science-fiction dans son jardin et propose différents tarifs et formules de concerts. L’une d’entre elle lui permettant tout de même de débarquer en Montgolfière.

Un nom plus ronflant? Toujours sur la brèche, Damon « Blur » Albarn a vu grand avec la partition Monkey, Journey to the west. Ses 9 tableaux mêlent instruments occidentaux et chinois et évoquent la métamorphose du roi Singe qui, passant de l’animal à l’humain, parfait son cycle d’accomplissement spirituel en atteignant l’immortalité et l’état de Bouddha. Compliqué peut-être. Mais sur scène, l’opéra pop a pu compter sur les visuels de Jamie Hewlett (Gorillaz) et une troupe d’une cinquantaine d’artistes, acrobates et chanteurs souvent issus de la jeune génération de l’Opéra chinois.

Quant à Bono, il n’a pas son pareil lorsqu’on aborde le sujet de la mégalomanie. Il a même toujours eu quelque part une araignée dans le plafond. Après sa tournée triomphale 360° Tour, U2 s’est attelé à un projet pharaonique évalué à 40 millions de dollars: l’adaptation en opéra rock de Spiderman. Jim Sturgess et Evan Rachel Wood, l’ex de Marilyn Manson, étant pressentis pour interpréter le super-héros et sa moitié. Le groupe dublinois a écrit les paroles et musiques de ce spectacle événement que l’on devrait pouvoir découvrir sur scène à Broadway en 2010.

Objectif Lune

L’ambition et les noms ronflants ne garantissent pas pour autant le soutien des maison de disques. Même quand on s’appelle Sparklehorse et Danger Mouse. Mark Linkous et le super producteur, moitié de Gnarls Barkley, ont parcouru le bottin mondain du rock dans le cadre de leur projet Dark night of the soul et ont appelé à l’aide Iggy Pop, Jason Lytle (ex-Grandaddy), Frank Black, Julian Casablancas (The Strokes) ou encore Suzanne Vega pour enregistrer un album qui devait normalement être accompagné par un livret de photos, sorte de visuel narratif, signé David Lynch. Suite à un conflit avec EMI, le disque, peut-être l’un des meilleurs de l’année, n’est disponible qu’en téléchargement et pourrait ne jamais voir le jour sur support physique.

Dans le même ordre d’idées, N.A.S.A., projet de Squeak E. Clean, le frère de Spike Jonze, et de DJ Zegon, un ancien skateur brésilien, a sorti son premier album, The Spirit of Apollo, en début d’année. Pour l’épauler, même s’il s’est souvent fait jeter, il a rallié à sa cause une invraisemblable kyrielle de stars. Tom Waits, Karen O et Nick Zinner des Yeah Yeah Yeahs, M.I.A., Chuck D, le Red Hot John Frusciante, Lykke Li, Santogold, Kanye West, David Byrne ou encore George Clinton… Tous ont accepté de prêter main forte au duo alors inconnu du grand public.

« Nous écrivions une chanson et lors d’un petit brainstorming, nous nous demandions qui pourrait la chanter parmi nos amis et artistes préférés, racontent d’une seule voix les deux lascars pour expliquer leur manière de travailler. Nous avons essayé de contacter tous les plus grands. On a eu droit à un Fuck Off de Morrissey. Prince et André 2000 ne nous ont pas répondu. Sinon, tout le monde s’est montré plutôt sympa. Bowie nous a dit: Thank you gentlemen. Super projet mais ce n’est pas ma tasse de thé. Damon Albarn était trop occupé et Lou Reed voulait tellement d’argent qu’on n’a pas pu se le payer. »

Cherchant à éviter tout court-circuit dans le processus créatif, le duo a financé lui-même sa monumentale entreprise avant de vendre le projet fini à une maison de disques. « Je fais dans la musique de pub et je possède ma propre boîte. Ce qui nous a permis de dégager des fonds. Nous avons cherché des tas d’idées pour faire grandir le projet. Nous voulions être spéciaux à tous les points de vue. On peut par exemple trouver 5 pochettes différentes dans le boîtier du CD. Il sera compliqué de sortir un deuxième album dans le même ordre d’esprit mais toute cette aventure pourrait se terminer par un concert à cap Canaveral… On sait très bien que les aliens écoutent du N.A.S.A. et du Giorgio Moroder. »

Texte Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content