En attendant In A Silent War – titre de travail – prévu en janvier prochain, John Ghinzu feuillète les années Blow et lève un coin de voile sur son nouveau disque. Une interview à cour ouvert exclusive, la première d’une série de quatre avec des artistes belges d’exception.

ohn Stargasm préside Ghinzu, le groupe belge le plus dandy, le plus poseur, le plus saignant. L’un des rares talents de cette scène rock belge assez majeur pour s’exporter réellement en dehors de notre microscopique royaume. John déboule dans un snack-glacier d’Ixelles, plutôt grand, athlétique. Si on faisait dans le chiffon, on dirait qu’il a le look d’un typique métropolitain, et probablement sexuel aussi. John Israël – c’est le même – a 35 ans, il alterne les froncements de sourcils aux questions trop perso ( » on en parlera une autre fois« ) et quelques éclats de rires juvéniles signent sa jouissance rock. « A fond » doit être sa devise. Derrière cette dédicace intense à la musique, il y a la conscience qu’en flirtant avec la barre des 100 000 disques vendus, Blow demande un successeur à sa hauteur, artistique et commerciale. Nous aussi.

John Stargasm: Blow est sorti en février 2004, d’abord en Belgique puis en France et la tournée s’est prolongée sur deux ans, deux ans et demi. Après, j’étais fatigué de plein de choses. Des excès, des réveils dans des villes que je ne connaissais pas. C’était d’autant plus violent que c’était la première fois qu’on connaissait une tournée à cette échelle de succès. A la fin, j’avais envie de tout sauf de faire ou d’entendre de la musique. J’avais des problèmes d’acouphènes parce qu’on jouait comme des malades, j’étais assis à côté d’un baffle avec 105 dB sur ma tronche…

Focus: inconscience?

Non, mais je n’ai jamais aimé ni les in-ears ni les bouchons parce que cela m’enlève la sensation de la scène. D’où quelques problèmes dans l’oreille interne.

Comment teniez-vous?

Je ne sais pas. C’était… sauvage. Nous étions surexcités, fondamentalement contents de ce qui nous arrivait, on voulait le faire à fond. On avait attendu aussi! La Belgique est un marché minuscule: il y a un décalage énorme entre un succès ici et les possibilités ailleurs. Le rock, soit cela ne marche pas et tu bouffes des cafards toute la journée, soit tu cartonnes et tu vas en cure pour dépression… Le batteur est parti à la fin de la tournée Blow et on en a auditionné quelques-uns susceptibles de s’intégrer à l’esprit ghinzesque avant de trouver Tony Mitchell, enfin Antoine Michel (rires). Il a une petite tête d’ange et joue vraiment très bien. Sur le prochain album, il amène clairement une touche en plus…

Vous avez commencé à jouer du piano à l’âge de dix ans! Quelle éducation accompagnait cela?

En réalité, je suis assez pudique, je ne verse pas dans les états d’âme. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai eu des parents très ouverts qui m’ont aidé à pouvoir accomplir ce que j’entreprenais. Je viens d’une famille d’immigrés juifs qui, à chaque génération, a voyagé d’un pays à un autre. Il y a clairement une culture, je ne dirais pas nomade, mais ouverte, et la réussite en tant que carrière passe au second plan. Le respect de certaines valeurs, du travail, de l’autre, c’est sans doute ce sur quoi je me suis construit.

Comment avez-vous pris les bonnes décisions stratégiques pour accompagner le succès?

On s’autoproduit, on a une petite structure, un label, et dans chaque territoire où on tourne, on a des partenaires, un tourneur ou une firme de disques. Tout cela a été coordonné par Tom de Vuyst, notre manager rencontré il y a bientôt dix ans ( Ndlr: au Vesalius College de la VUB) et qui a grandi avec nous. On a été bien entouré en Belgique puisqu’on travaillait avec Bang! En France, Atmosphériques avec Marc Thonon, un autre Belge, nous chouchoutait pas mal. Le vrai point fort en dehors des pics d’adrénaline au concert ou après, ce sont les rencontres que tu fais. Il y a quelque chose d’assez loyal ( il prononceloy-al) chez nous: on n’est pas des gens qu’on remplace, on ne fonctionne pas comme une PME.

Lorsqu’on vous rencontre pour la première fois – ce qui est mon cas -, on est étonné par le contraste entre le jeune homme courtois et l’animal de scène…

Cela fait partie de mon éducation: savoir s’adapter à toutes les situations…

Le plan commercial pour le prochain?

En Belgique, Pias va distribuer l’album. En France ( Ndlr: leur marché le plus porteur), on était sur Atmosphériques et au moment où il s’est fait racheter par Universal, certains groupes ont été remerciés. Nous avons atterri chez Barclay, un des labels les plus indépendants en termes de catalogue et de qualité!

Devez-vous vous retrouver dans une vraie grosse machine commerciale pour que Ghinzu explose?

A la sortie de Blow, on avait la possibilité d’aller aux Etats-Unis et en Angleterre. On tournait depuis deux ans et il fallait faire 150 dates dans un territoire comme dans l’autre, et on avait envie de se reposer, de décanter. La notion de réussite passe d’abord par la satisfaction de la qualité du prochain album! C’est le principal. On a pris énormément de décisions pas forcément corporate ou de fric ( Ndlr: le groupe s’autoproduit et donc paie la fabrication de son album), mais bien par rapport à qui on était! Cela a été super dur parce qu’il y avait énormément de pressions: les tourneurs nous appelaient et nous disaient qu’il FALLAIT faire des shows parce qu’après, nous serions oubliés!

Quelle est l’intention première de ce nouveau disque?

La première réflexion a été que notre son était perfectible: on a rencontré plein de gens pour aller dans ce sens-là! On a discuté avec Gordon Raphael qui avait fait le premier Strokes avec une certaine authenticité, on a eu une vague discussion avec Dave Sardi, une toute grosse pointure américaine (RATM, Evil Superstars), puis on a fait quelques prises qu’on a gardées avec Dimitri Tikovoï (Placebo, Sharko, Goldfrapp). Finalement, on s’est dit qu’on n’avait pas eu le match et le flash qu’on voulait avoir! Le nerf de la guerre, ce sont les morceaux, certains ont été composés il y a quatre ans, d’autres, il y a quelques mois. Sur la soixantaine de titres abordés durant ces quatre années, entre dix et douze seront sur cet album. Il y a vraiment un chaos chez Ghinzu: la seule règle est qu’il n’y en a pas et que le morceau est toujours en construction! Sachant que le studio est peut-être la photographie d’un morceau à un certain moment, ce n’est pas pour cela qu’il ne va pas bouger.

Ce chaos est-il volontaire?

Il faut profiter aujourd’hui de l’avantage d’être un petit groupe belge et prendre son temps pour faire ce qu’on a envie et le faire bien. Sur les albums précédents, certaines parties étaient en suspension, un peu trippantes, et là, c’est un album beaucoup plus puissant. On n’a pas joué la carte pop ou consensuelle.

Le titre de l’album?

In A Silent War est le nom de code du projet, et le titre découle directement de cette phrase. Nous avons toujours été apolitiques. On a toujours dit que notre musique était de l’entertainment, qu’on était là pour faire un spectacle et donner aux gens des sensations, du plaisir, des sentiments. On est plus esthétique qu’engagé: si message il y a, c’est clairement à travers des morceaux. Et cet album a comme thème de prédilection la guerre sous toutes ses formes.

Se donner comme but de faire de l’entertainment, c’est formidable, mais en même temps, c’est aussi se détacher du monde, non?

J’ai été très influencé par Hunter Thompson (1), mon premier groupe s’appelait Las Vegas Parano, et j’ai toujours aimé cette espèce d’ambiguïté entre la réalité et la fiction à travers une sorte d’exagération. J’ai l’impression que la musique fonctionne comme cela: elle peut être purement autobiographique et exagérée à l’extrême.

Qu’est-ce qui a nourri votre inspiration pour cet album?

On vit dans une absolue confusion de genres et de sociétés, il n’y a qu’à regarder la télévision où l’on peut zapper de l’Afghanistan à une pub de fille à poil. Il y a aujourd’hui un magistral clash des genres, un mélange suprême des matières, un collage monstrueux. Notre album n’est pas le jugement sur tout cela mais plutôt un assemblage de chansons spectatrices. On absorbe la télévision qui dit par exemple que Flamands et Wallons se tapent dessus, alors que dans la rue, tout est normal! Et puis il y a aussi l’analogie avec les musiciens en tournée qui sont un peu des guerriers qui partent en guerre. D’où l’idée de fractale qui dit qu’on vit toujours dans le même univers, mais que celui-ci est beaucoup plus intense… Notre prochain album également.

Le rock change-t-il le monde?

Si on considère le monde comme une source d’énergie au même titre que l’énergie solaire ou hydraulique, je pense que le rock peut changer le monde…

épilogue

Fin août, la nuit, pas loin du centre de Bruxelles. Quatrième et ultime étape studio de l’enregistrement de l’album commencé seize mois plus tôt.  » Faut absolument qu’on parte à Londres dans cinq jours pour mixer.  » Face au mur des délais pas éternellement élastiques, John et sa bande ghinzesque: Greg, dans un tee-shirt dépenaillé écolo, Mika, simplement bronzé, Antoine, récent batteur à tête d’ange. Plus Tom, manager courtois. Sans oublier Christine, ingénieuse du son tactile et souriante. Quelques titres »sûrs »: Take It Easy, The End Of The World, Cold Love et Kill The Surfers. John veut faire écouter ce dernier morceau, mais pas avant mille précautions oratoires:  » Rough cut… la voix trop en avant… pas mixé bien sûr…  » Une longue intro façon B.O. d’horreur organique déboule sur une impitoyable mécanique psycho-dansante. Ghinzu n’a pas pris de la came mais a carrément dévoré le dealer. Feulements électro-rock et beats traumatisés: le grand effroi va au charbon pour cueillir des émotions de transe, profondes, primaires. On est secoué.  » Il y a aussi des moments plus doux » , précise Tom pour couper court aux questions. Là, sur le coup (de bambou), on retraverse Bruxelles endormie comme un zombie fabrique des cauchemars éveillés. Chaos? Le mot est faible.

(1) Journaliste/écrivain américain iconoclaste (1937-2005) qui a beaucoup écrit pour le magazine Rolling Stone dans un style volontiers délirant qui se base sur le réel mais nourrit également le récit de fiction. Johnny Depp a interprété Thompson en 1998 dans Fear And Loathing In Las Vegas.

www.ghinzu.com

Rencontre Philippe Cornet

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