Cinq ans après le carton de Blow, Ghinzu refait surface avec Mirror Mirror. « J’adore qu’un plan se déroule sans accroc », aurait déclaré John Stargasm. Vérifications avec l’intéressé…

Studios ICP, Ixelles, mi-mars. John Stargasm déboule pour présider ce qui fait office de réunion de rédaction. Décontracté, voire volontiers farce, le chanteur passe en revue les différentes matières, justifie ses choix, s’emballe aussi régulièrement – « ultime » est son adjectif de prédilection. Bref, le leader de Ghinzu semble péter la forme. Il faut dire que les nouvelles du front sont plutôt bonnes. La veille, la présence du groupe à l’affiche de Rock Werchter a été confirmée. Bien entamé, le marathon promo se déroule apparemment aussi comme sur des roulettes. En particulier en France, à en croire John Stargasm. Pour preuve, la date au Bataclan, point d’orgue d’une première douzaine de concerts hexagonaux, a rapidement affiché complet. Au point de déjà programmer un Zenith le 23 octobre prochain! Même les Inrocks, le toujours très influent hebdo culturel français, sont venus passer deux jours à Bruxelles pour rencontrer le groupe…

Un mois auparavant, changement de décor. Et d’ambiance. Ghinzu sort alors à peine de sa tanière. Installé dans les fauteuils de l’Archiduc, fameux bar Arts déco dans le centre de Bruxelles, John Stargasm a toujours le sourire malicieux, mais semble un peu sur la réserve. Comme s’il cherchait encore sur quel pied danser. C’est qu’on ne brise pas impunément un silence discographique de 5 ans. Surtout quand il succède à un des plus beaux coups de force du rock belge de ces dernières années. Blow, deuxième pierre d’une discographie inaugurée en 2000, s’est en effet vendu à quelque 100 000 exemplaires, dont plus de 80 000 en France. De quoi rassurer tout le monde. Mais aussi faire tanguer le navire Ghinzu, pas forcément habitué aux trajets en haute mer. Officiellement, le groupe assure n’avoir jamais paniqué. Il a pourtant fallu reculer plusieurs fois la sortie du nouveau disque, et reporter des dates de concert. Entre-temps, le groupe a dû également acter le départ de son batteur Fabrice, et de son guitariste Kris Dane.

Finalement, c’est bien cette semaine que débarque Mirror Mirror. Que dit-il de Ghinzu? Par endroits, le disque lève un coin du voile sur les expérimentations qu’a pu tenter le groupe ( Birds In My Head, Interstellar Orgy, This Is Light). Mais là n’est pas l’essentiel. En fait, à force de tergiverser, Ghinzu a surtout été obligé de se regarder dans le miroir (miroir). Pour y voir quoi? Une créature rock, un peu crâneuse, mais foncièrement habitée ( Take It Easy, The End of the World). Une bête qu’il a fallu nourrir: jamais le son du groupe n’a été aussi épais, massif ( Kill The Surfers). Quitte à botter en touche en jouant la dérision ( Je t’attendrai), Ghinzu a surtout osé être soi-même. Ce n’était pas forcément le pari le plus facile. Mais avec Mirror Mirror, il est largement gagné.

Vous aviez déjà pris quatre ans pour réaliser Blow, le disque précédent. Vous invoquiez alors le manque de moyens. Dans le cas de Mirror Mirror, on a l’impression que c’était presque l’inverse.

C’est exact. Je pense vraiment qu’on s’est dit qu’on avait le temps. Notamment pour exploiter différentes possibilités, essayer des choses. On reste un groupe belge bruxellois, qui évolue dans un petit marché. Du coup, on n’a pas envie de souffrir de tous ses inconvénients sans jouir de ses avantages: comme par exemple, une plus grande flexibilité pour tenter des choses, sans subir la pression des majors parce qu’on est « marketés » dans le monde entier. En France, par exemple, on nous prévenait qu’après deux ans, on serait oubliés. Mais pour nous, l’idée de pouvoir prendre son temps et de livrer un disque de qualité, était ce qui allait assurer la pérennité du groupe. Aujourd’hui, on annonce une date au Bataclan, et elle est complète en une semaine. Personne ne capte rien! Cela nous fait dire que nous avons eu raison d’attendre.

Y a-t-il eu des périodes de découragement?

Non. Je n’ai pas eu le sentiment d’un plan galère, mais plutôt celui d’une longue croisière à bord d’un grand paquebot où il y a des millions d’instruments, où tu rencontres des gens sur le pont, dans le casino… (sourire)

Ghinzu fonctionne comme un miroir à fantasmes, avec une attitude, une dégaine. A ce petit jeu-là, y a-t-il de la place pour dévoiler des choses plus personnelles?

Je crois que cela fait partie d’un tout. On peut appeler ça du show, de la mise en scène. Mais en même temps, quand je fais de la musique, je n’ai pas le sentiment de jouer spécialement un personnage. Pas plus que quand je fais une interview. Là, j’ai l’impression d’être un peu coincé, à dire des trucs pour me rendre intéressant ou essayer de faire comprendre ce qu’on a voulu faire. Je me sens plus naturel sur une scène. On peut paraître parfois arrogant ou frimeur. Mais le rock’n’roll, c’est ça de toute manière: c’est la Formule 1 de la frime!… Et puis, je pense qu’il y a aussi pas mal d’humour et de dérision dans Ghinzu.

C’est ce que montre un morceau comme Je t’attendrai?

Disons que dans le cadre de la longue période d’enregistrement, il est arrivé que certains soirs, nous soyons dans un état d’ébriété avancé ( sourire). Un de ces jours-là, on a donc commencé à chanter un peu comme l’aurait fait Dalida, ou Julio Iglesias. Il y avait quelque chose d’assez frais et marrant, qui sortait un peu de l’ordinaire ou simplement du ton général de l’album. Par après, on a voulu réécrire les paroles, et les rechanter, mais ce n’était pas possible: on n’arrivait pas à le refaire sérieusement. On a donc décidé de le sortir comme ça. Mais en France, ils ne pigeaient pas, ils le voulaient en anglais.

Pourquoi l’avoir mis sur le disque?

C’est la difficulté de l’exercice. Parfois, même si l’on se sent prisonnier du travail effectué sur un morceau, il faut avoir le recul de dire: « ok, celui-là, on l’a bossé pendant 6 mois, mais on ne va pas le mettre, pour plutôt laisser la place à un truc plus brut. «  Un morceau comme Kill The Surfers est comme une esquisse. Certains le trouveront peut-être bâclé parce que c’est une jam que l’on met sur l’album. Mais d’un autre côté ce morceau fonctionne. Et c’est nous, aussi.

Les textes peuvent paraître très codés. Même s’ils tournent beaucoup autour de l’aspect charnel, des relations hommes-femmes, non?

Certains le sont peut-être davantage que d’autres en effet. Mais Dream Maker par exemple pourrait très bien faire référence à la crise des subprimes: l’histoire d’un génie qui énumère toutes les merveilles qu’il peut réaliser… En fait, les morceaux fonctionnent un peu comme un patchwork. Il y a cette idée qu’en zappant, tu passes de la guerre au Moyen-Orient à une pub pour une crème de visage, en enchaînant avec un ancien ministre qui vient parler de son bouquin dans lequel il évoque une maîtresse…

Il y a aussi l’idée de disque un peu anxiogène, qui essaie de capter ce qui se passe.

Ce n’est pas un disque qui tâtonne, c’est un disque qui est très cash. Il se veut concis: autant Blow s’appuyait sur un côté trippant, autant celui-ci est assez direct, puissant. En ce sens, je ne le trouve pas spécialement anxiogène.

De manière plus générale, comment la situation économique, écologique,… affecte ta musique? De quoi parle par exemple The End of The World?

C’est l’idée que tout peut bien s’écrouler, on continuera à danser à deux… C’est clair que pas mal de choses autour de nous peuvent nous faire nous demander où l’on va. Mais ce qui m’ennuie quand je t’en parle, c’est que nous ne sommes pas un groupe politique ou revendicateur. On reste d’abord dans une posture esthétique. Cela peut paraître bateau, mais oui, on est dans une société où tout le monde s’interroge. Les gamins sont un peu paumés, y a pas mal de came, c’est la crise, on se réinterroge sur le modèle capitaliste,… On peut évoquer tout ça, mais je trouve toujours ça très lourd dans le cadre d’un disque.

Mais cela alimente-t-il la création?

Bien sûr, comment veux-tu que quelqu’un puisse s’investir dans un projet musical en niant être affecté ou inspiré par ce qui se passe autour de lui? En sachant qu’on est clairement dans un spectre assez noir et pessimiste.

Mother Allegra est une chanson plus personnelle.

Oui, c’est vrai… C’est une manière de rendre hommage à ma grand-mère. C’est aussi une page qui se tourne, une génération qui s’éteint. Donc voilà, c’est vachement personnel. En même temps, tout le monde s’en fout.

Non, pourquoi?

Disons que je fais de la musique pour les autres, pour ceux qui veulent bien l’écouter. Avec plutôt l’idée de leur donner quelque chose que de les ramener à moi ou à ce que je fais.

Qu’elles viennent du public ou de la maison de disques, les attentes autour de Ghinzu sont énormes. Comment gères-tu ça?

Cela fait partie du job. Le plus compliqué reste que le disque corresponde à nos attentes. Tu ne peux jamais plaire à tout le monde. Si tu t’es impliqué, si tu as pris le temps qu’il fallait, tu ne peux qu’espérer que les gens accrochent. Après, on est dans un contexte particulier, dans un milieu qui change beaucoup, où l’on vend de moins en moins de CD. C’est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles on n’a pas envie de dépendre des chiffres de vente pour se dire que l’on est content de cet album ou pas. Il fallait qu’on se sente à l’aise avec les chansons pour que par la suite, dans la durée de vie de l’album, on puisse se dire que les ventes ne sont pas quelque chose de secondaire, mais presque…

Finalement, au cours de ces longs mois, quelle est l’excuse la plus foireuse que vous avez fournie à la maison de disques?

Je me souviens qu’à un moment on n’avait pas eu le temps d’écrire les paroles de certaines chansons. Du coup, pour gagner du temps, on expliquait qu’on trouvait le morceau pas assez ceci, ou pas assez cela. Ou alors on ne répondait simplement plus du tout au téléphone. Sur le répondeur, on expliquait qu’on était parti au Brésil pour six mois (rires). l

ghinzu, mirror mirror, chez pias

en concert, dès ce samedi 28/03, au bel’zik festival, à herve

www.myspace.com/ghinzu

Entretien Laurent Hoebrechts et Philippe Cornet. Photos Stephan Vanfleteren

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